samedi 22 septembre 2007

Les secrets de Ferrari sur Internet

Les secrets de Ferrari sur Internet

Ça y est ! Officiellement, depuis hier 17h, l'écurie Ferrari est championne du monde 2007 des constructeurs pour « la quinzième fois, dont sept fois au cours des neuf dernières années ».


Le communiqué officiel poursuit :
Vodafone McLaren Mercedes a décidé de ne pas faire appel de la décision du Conseil Mondial de la FIA, rendue le 13 septembre dernier, et accepte donc sa condamnattion au motif de la violation de l'article 151c du code sportif international.

Ferrari va maintenant concentrer tous ses efforts durant les trois dernièrers courses du championnat, dans l'espoir de remporter également le championnat du monde des pilotes.
Donc, McLaren laisse tomber. La décision du CMSA (Conseil Mondial du Sport Automobile) énonce textuellement  :
Le CMSA a retiré à Vodafone McLaren Mercedes tous ses points constructeurs au Championnat du Monde de Formule Un de la FIA 2007 et l'équipe ne pourra marquer aucun point pour le restant de la saison.

En outre, l'équipe paiera une amende s'élevant à 100 millions de dollars, dont seront déduites les recettes FOM perdues suite au retrait des points.

Toutefois, eu égard aux circonstances exceptionnelles dans lesquelles la FIA a accordé une immunité aux pilotes de l'équipe pour avoir fourni des éléments de preuve, les pilotes conserveront leurs points au classement.

Le CMSA recevra un rapport technique complet sur la voiture McLaren 2008 et prendra une décision lors de sa réunion de décembre 2007 quant à une éventuelle sanction à infliger à l'équipe pour la saison 2008.

L'entière motivation de cette décision sera publiée le 14 septembre 2007.
Effectivement, le 14, le CMSA a publié l'intégralité de sa décision, en ajoutant ces « informations à l'usage des médias (sans valeur réglementaire) » :
Les transcriptions complètes des auditions du 26 juillet et du 13 septembre seront publiées la semaine prochaine sur le site Web de la FIA après que les équipes McLaren et Ferrari auront eu toutes deux la possibilité de masquer toute information technique confidentielle avant la publication.
Ces transcriptions, publiées le 19, sont disponibles ici.

Or si la première version des PDF publiés masquait effectivement les passages jugés "confidentiels" par Ferrari :


le problème est qu'un simple copier-coller suffisait à restituer le texte en version intégrale !


C'est ainsi que toutes les infos "confidentielles" de Ferrari circulent maintenant sur Internet !

Où l'on apprend que le principal secret de Maranello concerne un « double-rear master cylinder with a spring, which initially delayed rear braking, then increased it gradually. »

Phrase que j'aurais tendance à traduire par « un maître-cylindre tandem avec ressort placé à l'arrière qui commence par retarder le freinage arrière avant de l'augmenter progressivement », mais bon, je suis pas particulièrement porté sur la F1 !

L'intégralité du texte masqué ici (sur le site de la RAI !).

* * *

Ceci dit, que la FIA ne culpabilise pas trop, elle a d'illustres précédesseurs dans ce genre de situation grotesque, de Google (oubli des notes d'une version PPT) au Gourvenement américain dans une affaire infiniment plus grave : celle du décès de Nicola Calipari.

Vous n'en avez probablement pas trop entendu parler en France, mais cela a fait énormément de bruit ici et a jeté un grand froid dans les relations diplomatiques, pourtant fort "amicales", entre les États-Unis et l'Italie. Il s'agit du rapport d'enquête de l'armée américaine sur les circonstances de la mort de Nicola Calipari, officier de haut rang des services secrets italiens tué le 4 mars 2005 par des tirs de l'armée américaine, sur la route de l'aéroport de Bagdad, alors qu'il avait été dépêché en Irak par le gouvernement Berlusconi pour négocier la libération d'une journaliste italienne, Giuliana Sgrena, retenue en otage par un groupe armé irakien. Résumé en français.

Or le rapport américain - dont les conclusions avaient été formellement rejetées par un contre-rapport italien - avait été publié sur Internet de la même manière :


Les deux versions, avec et sans surlignage, sont encore disponibles ici.

Et vous savez quoi ? Cette affaire avait été mise à jour par un blogueur !

Décidément, avec Internet, mieux vaut faire attention à ce qu'on publie, et comment !


, , , ,

vendredi 23 mars 2007

Cinquante ans aujourd'hui !



Bordeaux, hôpital Pellegrin, nuit du samedi 23 au dimanche 24 mars 1957, 1 heure du matin : naissance de Jean-Marie, Vincent, Edmond Le Ray, fils de Bernard Paul Le Ray et Jacqueline Pierrette Durand.
Rome, le lendemain, signature du Traité instituant la Communauté économique européenne.
Je suis donc plus vieux que l'Europe. Le vieux continent, qu'ils l'appellent ! Vieux con..., vieux con..., vieux continent... (tant que c'est pas incontinent, ça va encore ;-)
Rome, samedi 24 mars 2007, 1 heure du matin, 50 ans plus tard, j'écris ce billet. Après tout, devenir quinqua, ça n'arrive qu'une fois dans sa vie (même si c'est parti pour 10 ans !). Entre ces deux dates, l'Europe s'est construite, paraît-il, moi aussi. Enfin, j'espère. :-)
Hugo en serait-il fier ? Comme dit Alain Decaux :
Hugo incarne son siècle mais on pourrait dire également que ce siècle-là galope derrière Hugo. L'un et l'autre croient à l'avenir, à ce radieux XX° siècle qui devait voir s'abattre les frontières, mourir la guerre, la misère, l'ignorance, naître de la fraternité universelle ce bonheur des hommes qu'annonçaient les utopistes, ces bien nommés.
À Guernesey, devant le chêne des États-Unis d'Europe qu'il planta dans la certitude que ces États seraient unis quand l'arbre serait grand, j'ai rêvé à ce qui fut de sa part illusion majeure et de la nôtre péché mortel. L'arbre est immense - et qu'avons-nous fait ?

* * *

Point commun entre ces deux événements, Rome, où je vis maintenant depuis plus de 20 ans (qui l'aurait dit ?). J'aime Rome, pas la Rome des guides touristiques mais celle des romains, les vrais, ceux de Trastevere ou Campo de' Fiori, j'aime leur générosité, leur accent, leur exubérance.
Un épisode pour les situer : une ruelle étroite, dans les parages de Via Panisperna, bordée de façades hautes des deux côtés, avec un peu partout des forêts d'antennes de télé sur les toits et ce linge aux fenêtres qui font tant sourire les français...
Je marche sur le trottoir de gauche et, une dizaine de mètres devant, je vois une dame d'un certain âge penchée au quatrième ou cinquième étage qui fait descendre un panier au bout d'une corde. Comme je continue d'avancer, une autre dame en vis-à-vis se livre à la même opération, et alors que j'arrive près du panier la première m'interpelle :
- « Garçon, ça te dérangerait pas de prendre ce qu'il y a dans mon panier pour le mettre dans celui d'en face ? »
- « Mais pas du tout ! », dis-je en m'exécutant volontiers. Or qu'y avait-il dans le panier ? Je vous laisse deviner, réponse en fin de billet...

* * *

C'était à mes débuts dans la capitale italienne, et il me revient à l'esprit un concours organisé par la Procure pour fêter ... les 50 ans de la librairie française, intitulé « Dernières nouvelles de Rome », auquel j'ai participé il y a deux ans (très exactement à l'époque où j'ai entrepris ce blog, en mars 2005). Je n'ai certes pas gagné le prix de Rome, mais je suis heureux que cela m'ait donné l'occasion d'écrire ce texte, dédié à mes beaux-parents et à Paul Bernard, mon fils, petit romain dans toute sa splendeur. Rien à voir avec Google, Internet & Co., mais il faut bien varier les plaisirs. Je vous le livre tel quel, en l'agrémentant de quelques liens. Bonne balade. Peut-être un peu longue, mais hautement charmante et recommandable...

Rome antique, Rome nouvelle

1983
Voilà déjà un an que je vis en Italie.
Première visite à Rome, dont j’ignore tout.
Dans un itinéraire suivant l’impulsion du moment, sans projet ni science, une errance m’ayant conduit de la Rome baroque à la Place de Venise, je quitte celle-ci en longeant l’Autel de la Patrie vers la Via dei Fori Imperiali, grande avenue qui mène droit au Colisée.
Après avoir parcouru quelques mètres j’avise à droite une montée, mais préfère garder le cap, d’instinct, mes jambes fatiguées se refusant à escalader le fort dénivelé.
Une dizaine de mètres supplémentaires et une deuxième ruelle annonce Via del Tulliano.
Je m’y engage sans trop savoir pourquoi, sinon qu’elle est plane et m’assure une marche plus reposante ; n’ai aucune idée de ce qui m’attend…
Encore quelques pas et une vaste façade en point de fuite attire mon attention. Je saurai plus tard que c’est la paroi latérale de l’église Saint-Joseph-des-Charpentiers, bâtie sur les deux niveaux du Carcer Tullianum, probablement le plus vieux monument de Rome, qui donne son nom à la rue homonyme : ce cachot noir et humide fut, entre autres, le terrible tombeau de Jugurtha, roi de Numidie, et de Vercingétorix, défait au siège d’Alésia, grand chef des braves et grand vaincu de la guerre des Gaules. Tandis que les Césars jubilaient de leur Triomphe
Pour l’heure, je n’aperçois au bas de l’édifice que de grosses barres grisâtres, peu avenantes, encadrées d’une corniche robuste en marbre blanc qui tranche avec la couleur brique des hauts murs, tout comme contrastent avec le ciel ensoleillé la froideur et la semi-obscurité caverneuses filtrant des interstices. Une inscription au fronton me fait lever la tête :
MAMERTINUM
Prigione dei SS. Apostoli Pietro e Paolo

Je ne connais pas la ville mais je sais l’italien : Prison des Saints Apôtres Pierre et Paul !


Quae dicitur custodia in qua incarcerati fuerunt beati Petrus et Paulus

Deux colonnes de lumière sombrées au fond d’un puits de nuit.
Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Ma vue s’accoutumant à la pénombre, il me semble percevoir un trou dans le sol, par où s’échappent prières et gémissements, mêlés à l’eau jaillissante d’une source miraculeuse…
* * *

Absorbé dans mes réflexions, abîmé devrais-je dire, sous le choc considérable de cette découverte inopinée, difficile de refaire surface.
Finalement, je vais pour reprendre mon chemin, et tourne le dos aux tristes barreaux.
Or en faisant volte-face, la vision que saisit mon regard dans l’instant m’immobilise.
Stupéfait, j’en reste planté sur place, le souffle coupé par l’émotion, bouleversé par ce second choc, plus formidable encore que le premier ! À moins que ce ne soit la superposition violente et rapprochée des deux ?
Contact aussi soudain qu’est inouïe la beauté du spectacle déployé devant mes yeux ébahis…

  1. Mamertinum
  2. Belvedere d'où l'on a une vue panoramique sur le forum
  3. Capitole (actuellement, mairie de Rome, où fut signé le traité instituant la CEE)
  4. Place du Capitole
  5. Vittoriano (Altare della Patria, Tomba del Milite Ignoto)
  6. Via dei Fori Imperiali
  7. Centre du Forum

* * *

– « Connaissez-vous le Forum romain ?
– Une atmosphère unique au monde ! Une immensité d’anciens témoignages qui s’érigent et s’amoncellent sur quelque 4 km², décor d’une profondeur extraordinaire que nous donne à découvrir ce lieu de mémoire tel qu’il existait il y a plus de 2000 ans (si ce n’étaient les cohortes de visiteurs), un lieu public d’échanges et de rencontres où les romains se retrouvaient pour vaquer à leurs affaires, centre de la vie civile, religieuse, cœur de la ville où se concentraient les pouvoirs politique, législatif, exécutif, judiciaire et administratif de l’Empire.
Ce somptueux musée à ciel ouvert offre l’insigne avantage de pouvoir aller s’y perdre tôt le matin (quand les touristes dorment encore...), précisément « le genre de beauté auquel on se trouve sensible en se levant » disait le Sieur Beyle, pour s’abstraire dans la poésie omniprésente.
Le sol que l’on foule gît une bonne dizaine de mètres en contrebas de la Voie des Forums Impériaux, la ville moderne étant rehaussée par rapport à la cité antique, comme si chaque siècle avait tenu à dissimuler les traces des précédents – ont-ils autant honte les uns des autres ? –, à l’abri des furieux quadriges d’aujourd’hui, aux cent chevaux et aux quatre roues motrices…
Et dire que le Forum est resté à l’abandon pendant des siècles, jusqu’à l’époque où plusieurs campagnes de fouilles destinées à lui redonner sa splendeur oubliée furent ordonnées par … Napoléon : encore une histoire d’empereur, une fois n’est pas coutume !
Jadis marché aux bœufs ou champ des vaches (Campo Vaccino) paissant au pied du mont aux chèvres (Monte Caprino) – le Capitole, lui-même à l’origine champ d’huile (Campidoglio) –, cet espace n’était plus depuis le VIIIe siècle qu’un amas de décombres situé hors des murs de la cité, avec quelques monuments méconnaissables entourés çà et là d’hétéroclites bâtisses surgies du Moyen Âge. Jusqu’en 1811, année où commencèrent à être rasés greniers, maisons et granges à foin construits au milieu du Forum, voici le paysage que virent les contemporains de Stendhal,

Perspective vue du Colisée, avec en premier plan l’Arc de Constantin - G.B. Piranesi

qui nous rapporte dans ses Promenades romaines : – « D’où sont venus ces dix à douze pieds de terre répandus sur le sol de la Rome antique ? Cette terre couvre en partie la plupart des monuments, même ceux qui sont placés dans des lieux élevés. Ce ne sont point des débris de briques et de mortier, c’est de la belle et bonne terre végétale. »
De nos jours, toute cette belle et bonne terre a été déblayée depuis longtemps : partout ce sont des pierres blanches, des blocs énormes, comme erratiques (j’y ai vu des aïeux !), d’innombrables fragments de marbre, de travertin, de pépérin, tuf volcanique ainsi nommé par les romains à cause de sa ressemblance avec les grains de poivre pétris, ce sont des profusions de colonnes, des vestales riant dans l’eau argentine de vasques profondes et larges (une des richesses de Rome, les fontaines...), ce sont des basiliques prodigieusement hautes, le Sénat où siégeaient des félonies, et la tribune des rostres, « Tombeau de Cicéron », d’où les orateurs fendaient la houle plébéienne de harangues brutales, ce sont des arcs de triomphe annonçant la grandeur du Palatin, édifié sur des nécropoles étrusques (qui sait ?), avec la fosse adjacente d’un stade ostrogoth, que les barbares chevaux des armées d’Attila ne piétinèrent cependant pas (il est tout recouvert d’herbe grasse !) ; c’est encore, au sud, le Circus maximus – réminiscence des fameuses paroles « panem et circenses » –, c’est enfin, traversant l’Histoire, cheminant d’ouest en est, de la prison Mamertine et Tullienne jusqu’au Colisée, colosse de chrétienté, sous le regard calme des verts cyprès et des magnifiques pins parasols, l’étroite voie sacrée, au pavage qui retentit encore du roulement fracassant des chars de généraux ensanglantés et dont chaque dalle pourrait bien raconter à nos oreilles horrifiées pléthore de folies, de conspirations, de mensonges et d’assassinats inouïs... »
Perdu en contemplation devant ce sauvage spectacle, mon imaginaire encore empli de fières légions, toutes cuirassées, harnachées, caparaçonnées et bruyantes, rangées de soldats batailleurs et cruels défilant par centuries (sûrement le symbolisme des péplums), je me dis qu’heureusement, par chance ou par miséricorde, l’oubli et le pardon ont reconquis ces vestiges, laissant même au promeneur la chimère d’un passé heureux, en tout cas un panorama grandiose, un étonnement face auquel je songe une vérité d’évidence troublante :

La poésie demeure et relève le défi d’un monde en ruine !


* * *

L’endroit où je me trouve est une enclave : au propre avec, d’un côté, les 32 mètres d’aplomb de la Roche Tarpéienne qui domine l’imposante forteresse du Palais Sénatorial, dressé sur les ruines du Tabularium, et, de l’autre, l’austérité hautaine de la Curie ; au figuré, c’est un éclair de poésie tonnant pour se faire entendre – assourdi entre les cris de fureur du peuple acclamant les triomphateurs, et les cris de souffrance transformés en scories de colère pétrifiée que nous ont transmis les prisonniers gravissant les Scalæ gemoniæ pour être conduits au supplice –, une enclave étant aussi un fragment de roche étrangère à la masse où elle est englobée…
Cette pensée me ramène aux blocs épars qui jonchent le sol au pied du Tabularium, pont jeté entre les sommets de l’Arx et de l’antique Capitole. Le temps nous a restitué quelques indices : il abritait les archives de l’État Romain, et l’on y pratiquait la glyptique, dont le nom, pris étymologiquement, signifie la gravure dans toutes ses variétés – du grec γλύπτω, je grave –, puisque les lois et traités de Rome y étaient inscrits sur des tables de bronze (tabulae).


Toutefois, les mots célèbres de l’empereur Auguste : « J’ai trouvé Rome de briques, je l’ai laissée de marbre » permettent de supposer qu’ils y gravaient également ce noble matériau, les plaques de rue le confirment, aussi mes yeux avides de découvertes scrutent-ils chaque pouce de terrain en quête d’un signe du passé…

* * *

Las ! Je n’ai rien vu ce jour-là.
Alors j’y suis retourné. Souvent. Longtemps. Dans les semaines, les mois et les ans qui suivirent. Encore et encore.
Irrésistiblement attiré par tout ce marbre dans la blancheur duquel ancrer durablement les mots du poète.

Ut sculptura poesis !

J’ai recueilli patiemment mille et un glyphes éparpillés pour en recomposer le puzzle, non pas la roche primitive, certes, mais seuls trois morceaux d’un triptyque idéal, en m’efforçant de garder trace des intentions premières de son auteur.
Puis un peu à la manière de Champollion, tout déchiffreur étant aussi traducteur par nécessité, dans une herméneutique créative j’ai appliqué mon art et ma science à reconstituer l’originel message.
Cet effort a donné naissance à trois poèmes, retranscrits en français moderne sous forme de sonnets respectivement intitulés Volonté, Pureté, Unité, trois mots qui semblent faire pendant à une devise bien connue : Liberté, Égalité, Fraternité, plus que jamais d’actualité…

[blanc...]

* * *


2005
Romantique Rome Antique.
Ville capitale où l’Histoire – du dallage irrégulier des augustes voies consulaires aux mosaïques de sanpietrini poussiéreux ou luisants, ces petits cubes de basalte extraits des carrières pontificales qui pavent rues et ruelles – affleure toujours et partout.
Ville Poésie. Éternellement.
Jamais remis de ce double impact initial, je ne l’ai plus quittée depuis.


P.S. Qu'y avait-il dans le panier ? un rouleau de p-cul :-)

, , , ,

jeudi 1 février 2007

Quand Silvio fait le paon, Veronica prend sa plume

Je voudrais vous entretenir, une fois n'est pas coutume, d'une affaire étonnante qui agite la Botte et qui mérite...

Plantons la scène. La semaine dernière, samedi 27, a été transmise à la télé la cérémonie des Telegatti, l'équivalent italien des Sept d'or en France.

Cérémonie suivie d'un dîner de gala durant lequel Silvio Berlusconi, Sua Emittenza en personne, s'en est donné à cœur joie, en osant dire en public à une « honorable » : « ...si je n'étais pas déjà marié, je vous épouserais dans l'instant ».

Oui, vous avez bien lu, une « honorable », puisqu'en Italie c'est le nom réservé aux députés, dont l'honorabilité est bien souvent inversement proportionnelle à la grandiloquence du titre, mais ça c'est une autre histoire...

Remarquez, en voyant la demoiselle (ou la dame, j'en sais trop rien), Mara Carfagna, députée de Forza Italia (le parti de l'ami Silvio) on peut le comprendre.


Il aurait tout aussi bien pu lui dire « moi, avec toi, j'irais n'importe où... », mais ça il l'a réservé en réponse à une autre, qui l'avait provoqué - reconnaissons-le - en lui sussurant : « Président, avec vous, je fuirais sur une île déserte ». Il faut dire qu'Aida Yespica n'est pas moche non plus. Il a du goût le bougre...

Et tout ça, bien sûr, on connaît le tact naturel qui le caractérise, devant le jet-set, devant les paparazzi et devant sa femme, Veronica Lario (en Italie, les épouses ne prennent pas le nom du mari mais gardent le leur), laquelle en a pris ombrage et aurait demandé ensuite, en privé, des excuses au galopin. Qui l'a envoyée sur les roses...

Or les femmes ont des ressources insoupçonnées, et hier, l'Italie s'est réveillée toute surprise (et Berlusconi aussi, probable) de découvrir à la Une d'un grand quotidien italien, la Repubblica, la lettre de Veronica :
Cher Directeur,

C'est avec réticence que je vainc la réserve qui me caractérise depuis 27 ans passés au côté de l'homme public, entrepreneur et politicien illustre, qu'est mon mari. J'ai considéré jusqu'à présent que mon rôle devait se tenir essentiellement dans la sphère privée, afin de donner équilibre et sérénité à ma famille. J'ai affronté avec respect et discrétion les inévitables contrastes et les moments douloureux que réservent des relations conjugales aussi longues. Mais aujourd'hui j'écris pour réagir aux paroles de mon mari lors du dîner de gala qui a suivi la remise des Telegatti, où il s'est adressé à certaines des dames présentes en tenant des propos que je juge inacceptables : « ...si je n'étais pas déjà marié, je vous épouserais dans l'instant », ou « avec toi, j'irais n'importe où... ».

Ce sont là des considérations qui blessent ma dignité et ne sauraient être réduites à de simples plaisanteries, compte tenu de l'âge, du rôle politique et social et du contexte familial (deux enfants d'un premier mariage et trois du second) de la personne qui en est à l'origine. Je prétends donc de mon mari et de l'homme public qu'il me présente publiquement les excuses qu'il ne m'a pas faites en privé, et saisit de même l'occasion pour lui demander si je dois me considérer, à l'instar du personnage de Catherine Dunne, comme « la moitié de rien ». Au long de mes relations avec mon mari, j'ai choisi de n'accorder aucune place aux conflits conjugaux, même lorsque par ses comportements il en a jeté les bases. Ceci pour plusieurs raisons : d'une part compte tenu du sérieux et de la conviction avec laquelle je me suis investie dans un projet familial stable ; de l'autre, en étant consciente qu'en parallèle au changement de certains équilibres que le temps ne manque pas de produire au sein du couple, la dimension publique de mon mari s'est considérablement étoffée, une circonstance qui, à mon avis, doit influencer nos choix personnels et nous amener à reconsidérer, si nécessaire, nos désirs personnels. J'ai toujours soupesé les conséquences que mes éventuelles prises de position auraient pu avoir tant pour mon mari, notamment en dehors de la famille, qu'au niveau des retombées possibles sur mes enfants.

Une ligne de conduite qui ne se heurte qu'à une seule limite, ma dignité de femme, qui doit également être un exemple pour mes enfants, ciblé en fonction de leur âge et de leur sexe : vis-à-vis de mes filles, aujourd'hui adultes, l´exemple d'une femme capable de protéger sa dignité dans ses relations avec les hommes, un exemple d'une importance particulièrement lourde, au moins autant que l´exemple d'une mère capable d'amour maternel, selon leurs propres mots ; je pense d'autre part que la défense de ma dignité de femme pourra aider mon fils pour qu'il n'oublie jamais de mettre le respect des femmes au rang de ses valeurs fondamentales, de sorte qu'il puisse instaurer avec elles des relations toujours saines et équilibrées.

En vous remerciant de bien avoir voulu me donner un espace où exprimer ma pensée, je vous prie de croire, cher Directeur, à l'expression de mes salutations les plus cordiales.


Vous imaginez Bernadette envoyer un pamphlet pareil au Figaro ?

Branle-bas dans le camp de Silvio pour savoir comment rétorquer à la belle, et c'est ainsi que la réponse de Berlusconi à sa femme a été publiée le soir même via les agences de presse :
Chère Veronica, voici mes excuses,

J'étais réticent en privé, car je suis d'une nature joviale, certes, mais aussi orgueilleuse. Maintenant, si le défi est public, la tentation de te céder est forte, si forte que je n'y résiste pas. Toute une vie que nous sommes ensemble. Trois enfants adorables que tu as préparés pour entrer dans l'existence avec le soin et la rigueur amoureuse qui distinguent la personne splendide que tu es et que tu as toujours été pour moi, depuis le jour où nous nous sommes connus et où nous sommes tombés amoureux. Nous avons fait plus de choses belles ensemble que tous deux ne sommes disposés à reconnaître en un moment de turbulences et d'essoufflement.

Mais cela finira, cela finira dans la douceur comme toutes les véritables histoires. Je vis des journées de fou, tu le sais. Le travail, la politique, les problèmes, les déplacements, les examens publics qui n'en finissent jamais, une vie constamment sous pression. Une responsabilité permanente envers les autres et envers moi-même, mais aussi envers une femme que j'aime tant dans la compréhension que dans l'incompréhension, envers tous mes enfants, autant de facteurs qui ouvrent la porte à la petite irresponsabilité d'un caractère allègre, auto-ironique et volontiers irrévérencieux.

Non, ta dignité n'a rien à voir avec ça, je la garde comme un trésor en mon cœur, même lorsque de ma bouche sort une boutade insouciante, un trait galant, une broutille d'un instant. Mais crois-moi, pas de proposition de mariage, non, vraiment, je n'en ai jamais fait à personne. Excuse-moi donc, je t'en prie, et prends ce témoignage public d'un orgueil privé qui cède devant ta colère pour ce qu'il est, un acte d'amour, un parmi tant d'autres. Je t'embrasse très fort, Silvio.


* * *

Venons-en maintenant à quelques considérations sur cette histoire. J'ai déjà eu l'occasion de m'intéresser à Berlusconi lorsqu'il était président du Conseil et aux intempérances verbales dont il est coutumier, la preuve.

Ni l'homme ni le personnage ne me sont sympathiques, c'est le moins qu'on puisse dire, mais je dois reconnaître à Berlusconi que c'est un grand communicateur, il faut croire puisqu'il a réussi à s'imposer par deux fois comme président du Conseil grâce à la puissance de ses médias, certes, mais ça n'explique pas tout.

Ce qui est nouveau dans cette affaire, d'abord c'est que le coup ne lui est pas porté par un adversaire politique, mais par sa femme ! Le voilà donc pris à son propre jeu, combattu sur son propre terrain, celui de la communication. Impossible de savoir vraiment ce qui se cache derrière, et ce n'est pas tellement ce qui me préoccupe, moi ce qui m'intéresse, ce sont les mots. On n'est pas traducteur pour rien, que voulez-vous !

Car dans une missive comme celle de Veronica Lario, chaque mot est pesé, choisi, et porté pour faire mouche. Dans la réponse aussi, c'est clair, mais nous sommes sur deux registres différents, ce que je vais m'essayer à démontrer.

Chez Veronica, en dépit de l'écho qu'elle a souhaité donner à son message, je dirais que le registre reste celui de l'intime, de l'introspection, même. Tout tourne autour de l'opposition public vs. privé, de l'espace familial vs. le dehors, des relations conjugales vs. les conflits conjugaux, avec au centre LA FAMILLE, et au sein de la famille, LA FEMME. Comme si elle voulait communiquer la chaleur d'un foyer qui se refroidit et dont j'espère pour elle que sa réaction lui sera bénéfique. Ah, la densité des mots...
famille
couple
mari
mariage
relations conjugales
contexte familial
projet familial
dignité
dignité de femme
femme exemple
enfants
filles
mère exemple
amour maternel
fils
respect de la femme
valeurs fondamentales
relations saines, équilibrées
sérieux
conviction
stabilité
Par contre elle fait totalement l'impasse sur la notion d'épouse, et si elle parle plusieurs fois du mari, elle n'utilise ni le mot « femme » (l'italien a deux mots pour femme : donna pour la femme en général, et moglie pour femme au sens d'épouse) ni le mot « épouse » (sposa). En revanche elle s'interroge et interroge (interpelle) son mari : dois-je me considérer « la moitié de rien » ?

Des mots que je trouve terribles, tragiques, même, de par leur gravité. Autant par ce qu'ils disent explicitement que par ce qu'ils taisent explicitement : en italien, « La metà di niente » est le titre donné à la traduction (j'ignore s'il a été traduit en français) du roman de Catherine Dunne, originalement intitulé In the beginning, qui raconte l'histoire d'une femme avec trois enfants abandonnée par son conjoint après vingt ans de mariage...


Quand on parle de pots cassés...

Qui paiera ? Peut-être Veronica, femme mère, mais non pas (ou non plus) femme épouse, blessée dans sa dignité. Qui dit nous à quelqu'un qui lui répond moi.

Car que lui rétorque son mari ? « Ma la tua dignità non c'entra », « Non, ta dignité n'a rien à voir là-dedans » ! Un peu comme s'il voulait nier le sens des paroles qu'il a prononcées la veille ou l'avant-veille, la tactique habituelle qu'il emploie lorsqu'il cherche à minimiser la signification des mots qui sortent de sa bouche chaque fois qu'il dit une connerie ! Et il en dit souvent... Mais ce ne sont que boutades insouciantes, traits galants, broutilles d'un instant, qui en eût douté ?

« Eccoti le mie scuse », une façon de parler qui pourrait même être grossière pour peu qu'on y mette l'accent juste, des mots qui donnent l'impression que la personne qui les prononce les concède de mauvais gré, voire de mauvaise foi, vraiment parce qu'elle ne peut pas faire autrement ! « Eccoti le mie scuse », « Tiens, prends-toi mes excuses », j'étais réticent en privé...

On s'en doute. Car malgré le choix des mots, dont il n'est très certainement que co-auteur, sa prose lui ressemble, l'égocentrisme à son apogée : « Je vis des journées de fou, tu le sais. Le travail, la politique, les problèmes, les déplacements, les examens publics qui n'en finissent jamais, une vie constamment sous pression. Une responsabilité permanente envers les autres et envers moi-même, mais aussi envers une femme que j'aime tant dans la compréhension que dans l'incompréhension, envers tous mes enfants, autant de facteurs qui ouvrent la porte à la petite irresponsabilité d'un caractère allègre, auto-ironique et volontiers irrévérencieux. »

C'est moi qui traduis « mais aussi envers une femme que j'aime tant dans la compréhension que dans l'incompréhension », or en fait dans son message Berlusconi ne parle pas à la première personne mais à la troisième : « anche verso una moglie che si ama nella comprensione e nell'incomprensione », dont la traduction littérale serait : « mais aussi envers une femme qu'on aime tant dans la compréhension que dans l'incompréhension ». De facto, on dirait qu'il fait tout ce qu'il peut pour être impersonnel, pour éviter de s'adresser directement à elle, même s'il finit par ne plus pouvoir l'éviter : « Scusami dunque, te ne prego, e prendi questa testimonianza pubblica di un orgoglio privato che cede alla tua collera come un atto d'amore. Uno tra tanti. »

« Excuse-moi donc, je t'en prie, et prends ce témoignage public d'un orgueil privé qui cède à ta colère comme un acte d'amour, un parmi tant d'autres. »

Chaque fois que j'entends Silvio Berlusconi parler d'amour, je ne peux m'empêcher de penser qu'il ne sait vraiment pas de quoi il cause. On a beau être l'homme le plus riche d'Italie, il y a encore des choses en ce bas monde qui ne s'achètent pas, c'est bien connu.

Ardea, 1er février 2007, 23h54'


, , , , , , ,