jeudi 1 février 2007

Quand Silvio fait le paon, Veronica prend sa plume

Je voudrais vous entretenir, une fois n'est pas coutume, d'une affaire étonnante qui agite la Botte et qui mérite...

Plantons la scène. La semaine dernière, samedi 27, a été transmise à la télé la cérémonie des Telegatti, l'équivalent italien des Sept d'or en France.

Cérémonie suivie d'un dîner de gala durant lequel Silvio Berlusconi, Sua Emittenza en personne, s'en est donné à cœur joie, en osant dire en public à une « honorable » : « ...si je n'étais pas déjà marié, je vous épouserais dans l'instant ».

Oui, vous avez bien lu, une « honorable », puisqu'en Italie c'est le nom réservé aux députés, dont l'honorabilité est bien souvent inversement proportionnelle à la grandiloquence du titre, mais ça c'est une autre histoire...

Remarquez, en voyant la demoiselle (ou la dame, j'en sais trop rien), Mara Carfagna, députée de Forza Italia (le parti de l'ami Silvio) on peut le comprendre.


Il aurait tout aussi bien pu lui dire « moi, avec toi, j'irais n'importe où... », mais ça il l'a réservé en réponse à une autre, qui l'avait provoqué - reconnaissons-le - en lui sussurant : « Président, avec vous, je fuirais sur une île déserte ». Il faut dire qu'Aida Yespica n'est pas moche non plus. Il a du goût le bougre...

Et tout ça, bien sûr, on connaît le tact naturel qui le caractérise, devant le jet-set, devant les paparazzi et devant sa femme, Veronica Lario (en Italie, les épouses ne prennent pas le nom du mari mais gardent le leur), laquelle en a pris ombrage et aurait demandé ensuite, en privé, des excuses au galopin. Qui l'a envoyée sur les roses...

Or les femmes ont des ressources insoupçonnées, et hier, l'Italie s'est réveillée toute surprise (et Berlusconi aussi, probable) de découvrir à la Une d'un grand quotidien italien, la Repubblica, la lettre de Veronica :
Cher Directeur,

C'est avec réticence que je vainc la réserve qui me caractérise depuis 27 ans passés au côté de l'homme public, entrepreneur et politicien illustre, qu'est mon mari. J'ai considéré jusqu'à présent que mon rôle devait se tenir essentiellement dans la sphère privée, afin de donner équilibre et sérénité à ma famille. J'ai affronté avec respect et discrétion les inévitables contrastes et les moments douloureux que réservent des relations conjugales aussi longues. Mais aujourd'hui j'écris pour réagir aux paroles de mon mari lors du dîner de gala qui a suivi la remise des Telegatti, où il s'est adressé à certaines des dames présentes en tenant des propos que je juge inacceptables : « ...si je n'étais pas déjà marié, je vous épouserais dans l'instant », ou « avec toi, j'irais n'importe où... ».

Ce sont là des considérations qui blessent ma dignité et ne sauraient être réduites à de simples plaisanteries, compte tenu de l'âge, du rôle politique et social et du contexte familial (deux enfants d'un premier mariage et trois du second) de la personne qui en est à l'origine. Je prétends donc de mon mari et de l'homme public qu'il me présente publiquement les excuses qu'il ne m'a pas faites en privé, et saisit de même l'occasion pour lui demander si je dois me considérer, à l'instar du personnage de Catherine Dunne, comme « la moitié de rien ». Au long de mes relations avec mon mari, j'ai choisi de n'accorder aucune place aux conflits conjugaux, même lorsque par ses comportements il en a jeté les bases. Ceci pour plusieurs raisons : d'une part compte tenu du sérieux et de la conviction avec laquelle je me suis investie dans un projet familial stable ; de l'autre, en étant consciente qu'en parallèle au changement de certains équilibres que le temps ne manque pas de produire au sein du couple, la dimension publique de mon mari s'est considérablement étoffée, une circonstance qui, à mon avis, doit influencer nos choix personnels et nous amener à reconsidérer, si nécessaire, nos désirs personnels. J'ai toujours soupesé les conséquences que mes éventuelles prises de position auraient pu avoir tant pour mon mari, notamment en dehors de la famille, qu'au niveau des retombées possibles sur mes enfants.

Une ligne de conduite qui ne se heurte qu'à une seule limite, ma dignité de femme, qui doit également être un exemple pour mes enfants, ciblé en fonction de leur âge et de leur sexe : vis-à-vis de mes filles, aujourd'hui adultes, l´exemple d'une femme capable de protéger sa dignité dans ses relations avec les hommes, un exemple d'une importance particulièrement lourde, au moins autant que l´exemple d'une mère capable d'amour maternel, selon leurs propres mots ; je pense d'autre part que la défense de ma dignité de femme pourra aider mon fils pour qu'il n'oublie jamais de mettre le respect des femmes au rang de ses valeurs fondamentales, de sorte qu'il puisse instaurer avec elles des relations toujours saines et équilibrées.

En vous remerciant de bien avoir voulu me donner un espace où exprimer ma pensée, je vous prie de croire, cher Directeur, à l'expression de mes salutations les plus cordiales.


Vous imaginez Bernadette envoyer un pamphlet pareil au Figaro ?

Branle-bas dans le camp de Silvio pour savoir comment rétorquer à la belle, et c'est ainsi que la réponse de Berlusconi à sa femme a été publiée le soir même via les agences de presse :
Chère Veronica, voici mes excuses,

J'étais réticent en privé, car je suis d'une nature joviale, certes, mais aussi orgueilleuse. Maintenant, si le défi est public, la tentation de te céder est forte, si forte que je n'y résiste pas. Toute une vie que nous sommes ensemble. Trois enfants adorables que tu as préparés pour entrer dans l'existence avec le soin et la rigueur amoureuse qui distinguent la personne splendide que tu es et que tu as toujours été pour moi, depuis le jour où nous nous sommes connus et où nous sommes tombés amoureux. Nous avons fait plus de choses belles ensemble que tous deux ne sommes disposés à reconnaître en un moment de turbulences et d'essoufflement.

Mais cela finira, cela finira dans la douceur comme toutes les véritables histoires. Je vis des journées de fou, tu le sais. Le travail, la politique, les problèmes, les déplacements, les examens publics qui n'en finissent jamais, une vie constamment sous pression. Une responsabilité permanente envers les autres et envers moi-même, mais aussi envers une femme que j'aime tant dans la compréhension que dans l'incompréhension, envers tous mes enfants, autant de facteurs qui ouvrent la porte à la petite irresponsabilité d'un caractère allègre, auto-ironique et volontiers irrévérencieux.

Non, ta dignité n'a rien à voir avec ça, je la garde comme un trésor en mon cœur, même lorsque de ma bouche sort une boutade insouciante, un trait galant, une broutille d'un instant. Mais crois-moi, pas de proposition de mariage, non, vraiment, je n'en ai jamais fait à personne. Excuse-moi donc, je t'en prie, et prends ce témoignage public d'un orgueil privé qui cède devant ta colère pour ce qu'il est, un acte d'amour, un parmi tant d'autres. Je t'embrasse très fort, Silvio.


* * *

Venons-en maintenant à quelques considérations sur cette histoire. J'ai déjà eu l'occasion de m'intéresser à Berlusconi lorsqu'il était président du Conseil et aux intempérances verbales dont il est coutumier, la preuve.

Ni l'homme ni le personnage ne me sont sympathiques, c'est le moins qu'on puisse dire, mais je dois reconnaître à Berlusconi que c'est un grand communicateur, il faut croire puisqu'il a réussi à s'imposer par deux fois comme président du Conseil grâce à la puissance de ses médias, certes, mais ça n'explique pas tout.

Ce qui est nouveau dans cette affaire, d'abord c'est que le coup ne lui est pas porté par un adversaire politique, mais par sa femme ! Le voilà donc pris à son propre jeu, combattu sur son propre terrain, celui de la communication. Impossible de savoir vraiment ce qui se cache derrière, et ce n'est pas tellement ce qui me préoccupe, moi ce qui m'intéresse, ce sont les mots. On n'est pas traducteur pour rien, que voulez-vous !

Car dans une missive comme celle de Veronica Lario, chaque mot est pesé, choisi, et porté pour faire mouche. Dans la réponse aussi, c'est clair, mais nous sommes sur deux registres différents, ce que je vais m'essayer à démontrer.

Chez Veronica, en dépit de l'écho qu'elle a souhaité donner à son message, je dirais que le registre reste celui de l'intime, de l'introspection, même. Tout tourne autour de l'opposition public vs. privé, de l'espace familial vs. le dehors, des relations conjugales vs. les conflits conjugaux, avec au centre LA FAMILLE, et au sein de la famille, LA FEMME. Comme si elle voulait communiquer la chaleur d'un foyer qui se refroidit et dont j'espère pour elle que sa réaction lui sera bénéfique. Ah, la densité des mots...
famille
couple
mari
mariage
relations conjugales
contexte familial
projet familial
dignité
dignité de femme
femme exemple
enfants
filles
mère exemple
amour maternel
fils
respect de la femme
valeurs fondamentales
relations saines, équilibrées
sérieux
conviction
stabilité
Par contre elle fait totalement l'impasse sur la notion d'épouse, et si elle parle plusieurs fois du mari, elle n'utilise ni le mot « femme » (l'italien a deux mots pour femme : donna pour la femme en général, et moglie pour femme au sens d'épouse) ni le mot « épouse » (sposa). En revanche elle s'interroge et interroge (interpelle) son mari : dois-je me considérer « la moitié de rien » ?

Des mots que je trouve terribles, tragiques, même, de par leur gravité. Autant par ce qu'ils disent explicitement que par ce qu'ils taisent explicitement : en italien, « La metà di niente » est le titre donné à la traduction (j'ignore s'il a été traduit en français) du roman de Catherine Dunne, originalement intitulé In the beginning, qui raconte l'histoire d'une femme avec trois enfants abandonnée par son conjoint après vingt ans de mariage...


Quand on parle de pots cassés...

Qui paiera ? Peut-être Veronica, femme mère, mais non pas (ou non plus) femme épouse, blessée dans sa dignité. Qui dit nous à quelqu'un qui lui répond moi.

Car que lui rétorque son mari ? « Ma la tua dignità non c'entra », « Non, ta dignité n'a rien à voir là-dedans » ! Un peu comme s'il voulait nier le sens des paroles qu'il a prononcées la veille ou l'avant-veille, la tactique habituelle qu'il emploie lorsqu'il cherche à minimiser la signification des mots qui sortent de sa bouche chaque fois qu'il dit une connerie ! Et il en dit souvent... Mais ce ne sont que boutades insouciantes, traits galants, broutilles d'un instant, qui en eût douté ?

« Eccoti le mie scuse », une façon de parler qui pourrait même être grossière pour peu qu'on y mette l'accent juste, des mots qui donnent l'impression que la personne qui les prononce les concède de mauvais gré, voire de mauvaise foi, vraiment parce qu'elle ne peut pas faire autrement ! « Eccoti le mie scuse », « Tiens, prends-toi mes excuses », j'étais réticent en privé...

On s'en doute. Car malgré le choix des mots, dont il n'est très certainement que co-auteur, sa prose lui ressemble, l'égocentrisme à son apogée : « Je vis des journées de fou, tu le sais. Le travail, la politique, les problèmes, les déplacements, les examens publics qui n'en finissent jamais, une vie constamment sous pression. Une responsabilité permanente envers les autres et envers moi-même, mais aussi envers une femme que j'aime tant dans la compréhension que dans l'incompréhension, envers tous mes enfants, autant de facteurs qui ouvrent la porte à la petite irresponsabilité d'un caractère allègre, auto-ironique et volontiers irrévérencieux. »

C'est moi qui traduis « mais aussi envers une femme que j'aime tant dans la compréhension que dans l'incompréhension », or en fait dans son message Berlusconi ne parle pas à la première personne mais à la troisième : « anche verso una moglie che si ama nella comprensione e nell'incomprensione », dont la traduction littérale serait : « mais aussi envers une femme qu'on aime tant dans la compréhension que dans l'incompréhension ». De facto, on dirait qu'il fait tout ce qu'il peut pour être impersonnel, pour éviter de s'adresser directement à elle, même s'il finit par ne plus pouvoir l'éviter : « Scusami dunque, te ne prego, e prendi questa testimonianza pubblica di un orgoglio privato che cede alla tua collera come un atto d'amore. Uno tra tanti. »

« Excuse-moi donc, je t'en prie, et prends ce témoignage public d'un orgueil privé qui cède à ta colère comme un acte d'amour, un parmi tant d'autres. »

Chaque fois que j'entends Silvio Berlusconi parler d'amour, je ne peux m'empêcher de penser qu'il ne sait vraiment pas de quoi il cause. On a beau être l'homme le plus riche d'Italie, il y a encore des choses en ce bas monde qui ne s'achètent pas, c'est bien connu.

Ardea, 1er février 2007, 23h54'


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