En commentant mon billet sur la fin de la démocratie en Italie, Joseph me signale un lien à propos des risques de censure sur Internet.
En fait, c'était le sujet du billet suivant mais j'ai été rattrapé par l'actualité du Web entre-temps.
Donc, première nouvelle, ce n'est plus un risque, nous y sommes déjà ! Et ce n'est pas "une" mesure, mais un ensemble organique de mesures, comme Marco Travaglio l'explique très bien :
le projet est global, organique, et (...) les différentes mesures sont disséminées...Si ce n'est qu'il ne parlait pas d'Internet dans son Passaparola de lundi dernier.
Alors parlons-en ! Mais pourquoi donc Berlusconi voudrait-il contrôler Internet, me direz-vous ? C'est simple, c'est le dernier espace de LIBERTÉ qu'il ne contrôle pas, encore, et le seul. Le seul rayon de lumière qui lui fait encore de l'ombre.
Puisqu'il contrôle déjà toute une partie de la presse, des régies publicitaires (l'argent : le nerf de la guerre...), et pratiquement 100% de la télévision grand public. D'ailleurs il met en ce moment même la dernière touche à son emprise sur la RAI, à l'occasion d'un énième coup de force (il nous en fait un par jour, quand il est dans ses bons jours, davantage quand il est énervé, ce qui lui arrive de plus en plus souvent), où il a réussi à magouiller avec la "gauche" pour noyauter et contrôler le Comité de surveillance et le Conseil d'administration de la RAI (c'est-à-dire les trois chaînes de la télévision publique) !!! En plus des trois plus grosses chaînes privées qu'il détient en violation totale du droit communautaire...
Or comme l'observait fort justement Karl Popper (dont la théorie de la démocratie entre brutalement en conflit avec le régime à l'œuvre en Italie), qui contrôle la télévision contrôle la démocratie :
La démocratie consiste à soumettre le pouvoir politique à un contrôle. C’est là sa caractéristique essentielle. Il ne devrait exister dans une démocratie aucun pouvoir politique incontrôlé. Or la télévision est devenue aujourd’hui un pouvoir colossal ; on peut même dire qu’elle est potentiellement le plus important de tous, comme sil elle avait remplacé la voix de Dieu. Et il en sera ainsi tant que nous continuerons à supporter ses abus. La télévision a acquis un pouvoir trop étendu au sein de la démocratie. Nulle démocratie ne peut survivre si l’on ne met pas fin à cette toute puissance [...]Mais bon, cette orgie de pouvoir ne suffisant plus à Berlusconi, autant s'attaquer au dernier bastion de la liberté pour le museler : Internet !
Il ne peut y avoir de démocratie si l’on ne soumet pas la télévision à un contrôle, ou pour parler plus précisément, la démocratie ne peut subsister durablement tant que le pouvoir de la télévision ne sera pas complètement mis à jour.
Cela fait plusieurs mois que le vieil homme (anziano signore, ce sont ses propres mots) en parle, et après les discours, l'heure est venue de passer aux actes. Quelques lignes suffiront :
Amendement D'Alia :
«Art. 50-bis.Projet de loi Carlucci pour protéger la légalité sur le réseau Internet :
(Repressione di attività di apologia o istigazione a delinquere compiuta a mezzo internet)
1. Quando si procede per delitti di istigazione a delinquere o a disobbedire alle leggi, ovvero per delitti di apologia di reato, previsti dal codice penale o da altre disposizioni penali, e sussistono concreti elementi che consentano di ritenere che alcuno compia detta attività di apologia o di istigazione in via telematica sulla rete internet, il Ministro dell'interno, in seguito a comunicazione dell'autorità giudiziaria, può disporre con proprio decreto l'interruzione della attività indicata, ordinando ai fornitori di connettività alla rete internet di utilizzare gli appositi strumenti di filtraggio necessari a tal fine.
2. Il Ministro dell'interno si avvale, per gli accertamenti finalizzati all'adozione del decreto di cui al comma 1, della polizia postale e delle comunicazioni. Avverso il provvedimento di interruzione è ammesso ricorso all'autorità giudiziaria. Il provvedimento di cui al comma 1 è revocato in ogni momento quando vengano meno i presupposti indicati nel medesimo comma.
3. I fornitori dei servizi di connettività alla rete internet, per l'effetto del decreto di cui al comma 1, devono provvedere ad eseguire l'attività di filtraggio imposta entro il termine di 24 ore. La violazione di tale obbligo comporta una sanzione amministrativa pecuniaria da euro 50.000 a euro 250.000, alla cui irrogazione provvede il Ministro dell'interno con proprio provvedimento.
4. Entro 60 giorni dalla pubblicazione della presente legge il Ministro dell'interno, con proprio decreto, di concerto con il Ministro dello sviluppo economico e con quello della pubblica amministrazione e innovazione, individua e definisce i requisiti tecnici degli strumenti di filtraggio di cui al comma 1, con le relative soluzioni tecnologiche.
5. Al quarto comma dell'articolo 266 del codice penale, il numero 1) è così sostituito: "col mezzo della stampa, in via telematica sulla rete internet, o con altro mezzo di propaganda".».
Articolo 2Bon, pardonnez-moi mais je suis un peu fatigué de traduire, aussi je vous résume en quelques mots :
E' fatto divieto di effettuare o agevolare l'immissione nella rete di contenuti in qualsiasi forma (testuale, sonora, audiovisiva e informatica, ivi comprese le banche dati) in maniera anonima.
I soggetti che, anche in concorso con altri operatori non presenti sul territorio italiano, ovvero non identificati o indentificabilì, rendano possibili i comportamenti di cui al comma 1. sono da ritenersi responsabili - in solido con coloro che hanno effettuato le pubblicazioni anonime - di ogni e qualsiasi reato, danno o violazione amministrativa cagionati ai danni di terzi o dello Stato,
Per quanto riguarda i reati dì diffamazione si applicano, senza alcuna eccezione, tutte le norme relative alla Stampa.
Qualora insormontabili problemi tecnici rendano impossibile l'applicazione di determinate misure, in particolare relativamente al diritto di replica, il Comitato per la tutela della legalità nella rete Internet (di cui al successivo articolo 3 della presente legge) potrà essere incaricato dalla Magistratura competente di valutare caso per caso quali misure possano essere attuate per dare comunque attuazione a quanto previsto dalle norme vigenti.
In relazione alle violazioni concernenti norme a tutela del Diritto d'Autore, dei Diritti Connessi e dei Sistemi ad Accesso Condizionato si applicano, senza alcuna eccezione le norme previste dalla Legge 633/41 e successive modificazioni.
- Le premier texte permet de filtrer n'importe quel contenu pour peu qu'il ne plaise pas et d'obscurcir l'intégralité des sites, de Facebook à Youtube, de Blogger aux blogueurs, etc. Ce qui a fait dire à Di Pietro qu'avec cette loi, quand bien même le sénateur D'Alia s'en défend, l'Italie s'aligne sur la Chine et la Birmanie...
- En revanche, le deuxième texte dit très clairement, entre autres, que toute forme d'anonymat devient explicitement interdite sur le Web, et qu'en matière de diffamation (mais le périmètre est plutôt extensible...), "toute la législation applicable à la presse s'applique aussi à Internet, sans aucune exception".
... c'est-à-dire le journaliste qui fait œuvre d'information, en citant habituellement le nom du juge, en rapportant que "le juge untel" est chargé de "l'affaire untel", en racontant si le juge fait bien - ou mal - son travail, de sorte que le citoyen sache qu'il y a une enquête, et qu'elle est suivie, bien ou mal, par tel juge. C'est ça, l'information.Par conséquent en faisant 1 + 1 = 2, les normes applicables aux journalistes s'appliqueront à l'identique - sans exception aucune - aussi aux blogueurs, et plus largement encore à n'importe qui souhaitant exprimer son opinion sur Internet...
Donc à présent le magistrat ne pourra plus être désigné nommément, et si un journaliste publie son nom il sera passible d'une peine allant jusqu'à trois mois d'emprisonnement ou d'une amende jusqu'à 10 000 euros ! Juste pour avoir publié un nom, le nom d'un vrai juge, chargé d'une véritable enquête. Jusqu'à trois mois d'emprisonnement, et 10 000 euros d'amende !
Je pourrais vous en écrire encore des pages et des pages, mais je suis écœuré de toute cette merde. Concluons, pour aujourd'hui.
En muselant Internet, Berlusconi renforce d'autant son énorme appareil militaire de propagande qui lui permet de distiller, aux doses et à la fréquence qu'il veut, l'information qu'il veut ou, pour mieux dire, la non-information dont il a besoin pour maintenir le peuple dans un état permanent de béate ignorance (qui se résume par la maxime suivante : panem et circenses, en remplaçant le pain par la pub, ou par le cul, c'est selon...).
Comme l'observe un magistrat, Bruno Tinti, auteur du livre La questione immorale :
La majorité au pouvoir a son ministère de la propagande, nous l'appellerons ainsi, tellement destructeur que si Goebbels avait eu le même à l'époque d'Hitler aujourd'hui nous ferions tous le salut nazi !Car en fait le projet global et organique de Berlusconi pour tout noyauter et tout contrôler, absolument tout, à 360°, va bien au-delà d'un simple projet de "gouvernement", c'est à proprement parler un PROJET DICTATORIAL, hégémonique, qui n'a plus rien à voir avec une soit-disant démocratie, ni de près ni de loin, comme l'a justement dénoncé Antonio Di Pietro devant les instances européennes, chose qu'il a réaffirmé hier encore à l'occasion des magouilles avec la "gauche" dont je parlais plus haut :
...questa maggioranza ha un ministero della propaganda, chiamiamolo così, che se lo avesse avuto Goebbels ai tempi del nazismo oggi ci saluteremmo tutti con la mano alzata. È micidiale.
Si la majorité et l'opposition se mettent d'accord, ça signifie qu'il n'y a plus d'opposition dans notre pays. Je me sens moins opposant que résistant. D'ailleurs je ne crois pas qu'en ce moment nous ayons une majorité au gouvernement, je crois plutôt que nous avons, d'un côté, une dictature en construction, et, de l'autre, une résistance en action.Résistance, oui, c'est bien le mot. Mais ça nous ramène toujours à la même époque...
Or je le rappelle, et j'insiste : tout cela se passe aujourd'hui, en 2009, en Italie, au cœur de l'Europe. Qu'on se le dise !!!
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Malheureusement la rai a déjà commencer à censurer.
RépondreSupprimerA l'origine de cette censure une polémique autour d'une chanson du célèbre et bien pitoyable festival Sanremo. Mardi soir cette polémique a été dédramatisée par Benigni en direct du festival.
Mercredi matin, la vidéo de l'intervention de Benigni était disponible sur youtube.
« La RAI a aussitôt exercé son droit de copyright et a fait interrompre la diffusion de cette vidéo. »
C'est donc le début de la censure sur youtube. Heureusement des ptits malins on réussi à mettre la video sur dailymotion :)
Enfin, en tant que Franco-Italienne perso j'ai honte de ce qui se passe...
http://mondodiverso.over-blog.com
Virginia,
RépondreSupprimerJe viens de voir ton blog, je le mets dans mes flux :)
Tu es à Bordeaux ?
Jean-Marie
Bordelais de naissance, Romain de coeur :)
Hé bien, c'est du propre ! Une expatriée râleuse et un agitateur étranger, voilà de quoi inquiéter le Pouvoir :)
RépondreSupprimerJe plaisante, mais j'observe le mutisme des commentateurs dès que le sujet abordé sort du futile et dévie de la thématique.
Et le PR peut rapidement en souffrir :)
Cela dit, monsieur Le Ray, ça fait plaisir de voir votre loupe traiter de choses réellement importantes. Parce que Facebook, franchement ... :)
Nota bene : j'espère que vous apprécierez la subtilité avec laquelle j'ai utilisé les mots nécessaires pour rester dans la thématique du blog :)
Eh oui Szarah, je suis une éternelle râleuse :), en même temps il y a matière à critiquer.
RépondreSupprimerJe suis sur Bordeaux aussi.
C'est quoi le PR ? :)
Virginia
Virginia,
RépondreSupprimerLe PR c'est le PageRank, càd le ranking d'un site pour Google.
Vous inquiétez pas pour les mots de Szarah, elle est comme Obélix, tombée dans un chaudron de soude caustique quand elle était petite, mais son avis est toujours très éclairé :)
Jean-Marie
C'est triste tout de même.
RépondreSupprimerC'est liberticide et anti démocratique mais plus grave encore c'est totalitaire.
Lorsque la vie privée des gens (les réseaux genre facebook sont destinés à échanger avec ses amis) est concerné par la loi sur la presse on peut parler de totalitarisme. Un régime Totalitaire fonctionne de cette façon: on a une discussion avec ses amis, on invite une personne à boire un verre... c'est considéré comme une réunion publique. La disparition de la frontière privée publique c'est le totalitarisme.
Merci monsieur Le Ray d'avoir signalé que ma propension au cynisme ne m'empêche pas toujours de penser juste.
RépondreSupprimerCe qui se passe en Italie est une catastrophe et il est nécessaire d'en parler, ne serait-ce que pour éviter la contagion. Et il faut du courage pour ne pas rester silencieux (bravo donc).
Toute crise est propice à la montée de l'autoritarisme d'Etat, l'Internet est un vecteur d'expression libre, il faut le protéger et surtout il faut l'utiliser : il faut parler tant que c'est encore permis.
@ Anonyme Virginia
"Râleuse", c'était un compliment :)
@ Joseph
Je suis assez d'accord avec votre définition du totalitarisme. Avec les sites participatifs et communautaires, ce totalitarisme devient doucement une norme, un fait accompli, mais plus grave : il est librement accepté.
Szarah,
RépondreSupprimerIl faut en parler, effectivement, et je compte bien le faire, probablement de plus en plus souvent, ou tout au moins dans les proportions que je jugerai opportunes.
Cette situation m'obsède littéralement, plus un jour ne se passe sans que des épisodes diffus ne me remettent à l'esprit cette terrible situation.
Ce matin sur RAI3, un juge qui a écrit un livre intitulé "la question immorale" (je traduis), expliquait à un grand journaliste italien (Corrado Augias) pourquoi la "réforme" de la justice voulue par Berlusconi ne marche pas, et il le faisait de manière très calme et très modérée.
Or il y a eu un moment où des directives venant du hors-champ ont été soufflées au journaliste pour "ne pas exagérer".
Le journaliste, piqué au vif, a répondu directement en disant que c'était "son" émission, et que ses invités devaient pouvoir s'exprimer librement pourvu qu'ils le fissent avec mesure et en étayant sérieusement leur position.
Quelques minutes plus tard, alors qu'un spectateur posait une question directe au juge, il commenta en disant que selon lui l'émission était d'une excellente tenue avec un dialogue modéré.
Ce à quoi Corrado Augias lui répondit en disant (je cite textuellement) : alors allez répéter ce que vous venez de dire au "commissaire politique" de tout à l'heure...
C'est tout simplement de la folie furieuse, mais nous sommes encore en phase de transition, tout juste au bord du précipice. Les jours qui viennent vont être déterminants, lorsqu'il s'agira de transformer les projets de lois en lois, et notamment de voir comment réagira en premier lieu le président de la république, Napolitano.
C'est à ce moment-là que la bataille va vraiment s'engager, et ça risque d'être saignant.
J'y reviendrai...
Jean-Marie
Amendement D'Alia
RépondreSupprimerApologie des crimes et délit/ instigation au délit. Si je comprends bien, c'est quand même le code pénal qui trancherait?
Loi Carlucci: elle me semble extrêmement plus dangereuse et insidieuse. As-tu connaissance de prises de position de la magistrature italienne sur la question?
Agnès,
RépondreSupprimerL'expression "crimes et délits" recouvre a peu près tout et n'importe quoi, à la limite ça peut varier d'un juge à l'autre en fonction des circonstances.
Et puis en plus, si ça te tombe sur la tête, après ça serait à toi de prouver que tu es innocent, une histoire sans fin, donc.
Sur la proposition Carlucci (en plus, venant d'elle, ça fait rêver...), comme toujours c'est fait presque en catimini donc pratiquement personne n'en parle. Il faudrait d'abord qu'elle passe en l'état pour voir ensuite quelle sera la réaction de la "justice"...
J-M
Tout simplement GRAZIE merci pour cet article, a&c :)
RépondreSupprimerhttp://www.aglioecipolla.wordpress.com
Bonjour, j'ai cité votre article hier ici: "Italie: récit d'une semaine au Régime" -
RépondreSupprimerhttp://aglioecipolla.wordpress.com/2009/05/11/italie-recit-dune-semaine-au-regime/