vendredi 20 novembre 2009

Berlusconi et Dell'Utri, commanditaires des bombes de 1993 ?


Personnellement, je serais enclin à virer le point d'interrogation, mais la présomption d'innocence vaut encore. Même s'il y a déjà lurette que ces deux-là ne sont plus compatibles avec l'innocence et la vérité !



"Mandanti esterni delle stragi", ou "mandanti occulti", ou "mandanti politici", autant d'expressions qui font référence aux commanditaires "externes" à la mafia (qui était le bras militaire ayant effectué "physiquement" et matériellement les attentats), ou "commanditaires occultes", ou "politiques", des bombes qui ont - et auraient dû - provoqué mort et désolation entre le printemps 1992 et le printemps 1994...



Tantôt désignés sous les appellations d'Auteur 1 & Auteur 2, tantôt Alpha & Bêta, Berlusconi et Dell'Utri ont déjà fait l'objet d'enquêtes sur ces faits, mais vu la délicatesse et la complexité du sujet, jusqu'à présent leur position juridique a toujours été archivée par les Parquets de Florence et de Caltanissetta, comme je l'ai déjà raconté :
  1. Le 14 novembre 1998, le juge d'instruction de Florence, Giuseppe Soresina, observait que Berlusconi et Dell'Utri « avaient entretenu des relations pas seulement épisodiques avec les entités criminelles à qui les massacres étaient imputables ». À savoir le clan des Corléonais de Riina et Provenzano, chefs indiscutables de Cosa Nostra pendant plus de vingt ans.



    Et le Tribunal de préciser : « Il y a une convergence objective entre les intérêts politiques de Cosa Nostra et quelques-unes des orientations programmatiques de la nouvelle formation politique [Forza Italia] : sur l'article 41-bis, sur la législation des collaborateurs de justice et sur le "garantisme" dans les procès, trop négligé dans la législation du début des années 90 ».



    Et de conclure, dans sa demande d'archivage due à l'impossibilité d'avoir pu recueillir davantage d'éléments dans le délai de deux ans que la loi impose pour les enquêtes préliminaires, que non seulement l'hypothèse initiale (de l'implication de Berlusconi et Dell'Utri dans les massacres) avait conservé toute sa validité, mais qu'elle avait en outre « augmenté sa plausibilité » !


  2. Quant au juge d'instruction de Caltanissetta, Giovanni Battista Tona, il écrivait dans l'acte d'archivage, en 2002 : « Les documents versés au dossier ont amplement démontré l'existence de nombreuses possibilités de contact entre les mafieux et des représentants ou des sociétés contrôlées d'une manière ou d'une autre par Berlusconi et Dell'Utri. Une circonstance qui légitime l'hypothèse selon laquelle, compte tenu du prestige des deux comparants, la mafia pouvait les avoir identifiés comme de nouveaux interlocuteurs ».



    Toutefois, l'actuelle « friabilité des indices dont nous disposons impose l'archivage », car, « bien qu'ils soient nombreux, ils résultent incertains et fragmentaires, et par conséquent inaptes à légitimer l'action pénale ou à exiger des approfondissements ultérieurs... » (gli spunti indiziari a sostegno dell’ipotesi accusatoria, per quanto numerosi, risultano incerti e frammentari, pertanto inidonei a legittimare l’esercizio dell’azione penale e insuscettibili di ulteriore approfondimento.).


Ajoutons à cela qu'en 2001, la cour d'Appel de la cour d'Assises de Caltanissetta a consacré un chapitre entier à la question, le chapitre 14, intitulé : « Contacts entre Salvatore Riina, Marcello Dell'Utri et Silvio Berlusconi », dans lequel il résulte "prouvé" que la mafia avait noué avec eux « des rapports d'affaires fructueux, tout au moins en termes économiques ».



Tellement fructueux qu'en 1992, « le projet politique de Cosa Nostra au plan institutionnel a tenté de parvenir à de nouveaux équilibres et de nouvelles alliances avec de nouveaux référents du monde politique et économique », ce qui a conduit la mafia à « amener l'État à négocier pour permettre des changements politiques capables, grâce à de nouveaux contacts, d'assurer à Cosa Nostra des complicités semblables à celles dont elle avait pu bénéficier dans le passé ».



Car en fait, c'est cette négociation, ce pacte état-mafia qui est la cause des attentats, la mafia ayant compris que plus elle frappait dur, plus elle était en position de force pour négocier. « Faire la guerre pour faire la paix » disait Riina.



N'oublions pas non plus le contexte : 1992-1993, c'est Tangentopoli et l'opération Mains propres, où la classe politique et économique du pays a été complètement décimée pour corruption généralisée et mise à sac de l'Italie sur le dos des citoyens.



Très exactement la même chose qui se passe aujourd'hui, sauf que hier c'était la 1ère République, aujourd'hui c'est la 2de République, mafieuse et née du sang des victimes des massacres de 1992-1993, encore plus cloaqueuse que la première ! Les politiques italiens ont vraiment une curieuse notion de ce qu'est une République...



Mais revenons au "Papello" et aux 12 exigences de la mafia à l'origine des attentats pour mieux comprendre ce qui se passe aujourd'hui.



Déjà, à partir de 1994, Provenzano disait aux autres chefs mafieux qu'ils auraient dû patienter une dizaine d'années pour que les choses s'arrangent. Et l'un des points clés à négocier était la DISSOCIATION, sur le même modèle que les terroristes (riconoscimento benefici dissociati - Brigate Rosse - per condannati di mafia) : en gros, je reconnais être un mafieux mais je me dissocie de la mafia, et vous me foutez la paix. Plus de QHS et, surtout, je ne suis plus obligé de vous raconter quoi que ce soit. Facile...



Ceci est un point crucial car au moment-même où l'opération "dissociation" aurait réussi, certaines des autres exigences, les plus graves, qui découlaient de celle-ci, n'auraient plus été à l'ordre du jour.



Or nous savons aujourd'hui que certains canaux politiques ont tenté de faire légiférer sur la dissociation, par deux fois, et qu'ils n'ont pas réussi grâce à l'obstination d'un magistrat, aujourd'hui amer et déçu : le juge Alfonso Sabella, dont la carrière a pris un sérieux coup dans l'aile à cause de ça (notamment sous les gouvernements Berlusconi), alors que certains de ses confrères moins regardants, pour ne pas dire complices, ont bénéficié de splendides progressions et promotions...



Donc ce qui se passe à présent avec les derniers repentis en date, dont Spatuzza, et maintenant Grigoli, c'est qu'apparemment les co-signataires mafieux du pacte ont décidé qu'ils avaient assez attendu sans obtenir les résultats espérés !



Raison pour laquelle ils ont commencé à parler, mais pas encore à TOUT déballer. Même s'il est clair que ce qui reste de l'ancien pacte ne tient plus qu'à un fil, désormais tellement ténu qu'il va se rompre d'un instant à l'autre.



Sous les coups de boutoir conjugués des déclarations de Gaspare Spatuzza (qui sera entendu comme témoin le 4 décembre prochain dans le procès d'appel à Dell'Utri), Salvatore Grigoli (presque 50 meurtres à lui tout seul, dont les déclarations recoupent celles de Spatuzza) et d'autres, mais surtout, surtout, des deux chefs mafieux Giuseppe et Filippo Graviano.



Filippo & Giuseppe Graviano

Il me faudrait écrire au moins trois billets approfondis pour vous dresser le cadre de la situation, donc permettez-moi d'être bref.



- Spatuzza désigne nommément Berlusconi comme l'un des pôles de la négociation, et raconte qu'en janvier 1994 Giuseppe Graviano, qui lui confirme qu'ils sont parvenus à un accord avec Berlusconi, lui dit ceci : « Nous tenons le pays entre nos mains (Ci siamo messi il Paese nelle mani)... » !!!



En 2004, Spatuzza est dans la même prison que Filippo Graviano, et celui-ci lui communique que ce qui les intéressait, c'était d'obtenir la dissociation, mais que si rien n'arrivait de là où ça devait venir, alors il faudrait qu'ils pensent à tout raconter aux juges.



Or dernièrement, il s'est passé un fait plutôt marquant ! Lors d'un récent procès contre un sénateur de l'ex-démocratie chrétienne, Vincenzo Inzerillo, Giuseppe Graviano a déclaré durant son intervention que Spatuzza avait tout son respect !!!



Chose extrêmement étonnante de la part d'un parrain mafieux, pour qui le mot "respect" est lourd de signification, surtout employé vis-à-vis d'un repenti qui est en train de vider son sac en l'accusant (puisque dans ses témoignages, Spatuzza détaille le rôle des frères Graviano dans les attentats)...



Cela ne peut avoir qu'une seule signification, dans une culture mafieuse profondément enracinée où être repenti est synonyme d'infamie et de condamnation à mort : que Spatuzza parle avec l'aval de son chef !!!



Ce qui voudrait dire aussi autre chose : que les déclarations de Spatuzza ne font que précéder celles des frères Graviano, dont Filippo a déjà déclaré qu'il avait l'intention de faire un "choix de légalité"...



Tremblement de terre politique force 1000 assuré !





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P.S. Dans un face à face récent entre Spatuzza et Filippo Graviano (20 août), aucune animosité entre les deux, au contraire, et cette déclaration de Graviano : « Je ne te dis pas que tu mens, je dis que moi je n'ai pas dit ces choses-là, désolé. » (Non ti dico che stai mentendo, ti dico che io le cose non le ho dette. Mi dispiace).

Comme dit l'autre, tout est dans la nuance, mais le fait qu'il ne le démente pas catégoriquement en dit déjà long...



P.S. 2 - Le ton qu'on pourrait qualifier de "civil" - voire "amical" par moment - de cette "confrontation" (y compris à distance) entre parrains mafieux (Spatuzza n'était pas n'importe qui, mais un "chef de mandement" aux ordres directs des Graviano) est vraiment une première absolue dans l'histoire de la mafia !



P.S. 3 - Vu ce qui se passe, on comprend mieux pourquoi Berlusconi répète tous les jours que la réforme de la justice (dans le seul but - avoué - de lui assurer l'impunité) est extrêmement urgente !

Pour le bien du peuple, il va sans dire...



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