Peter Gomez raconte un dîner sur l'Espresso de cette semaine.
Un dîner entre gens de bonne compagnie, censé rester secret, qui se déroule en mai dernier chez un juge de la Cour constitutionnelle, Luigi Mazzella, ex-ministre italien de la fonction publique sous le deuxième gouvernement Berlusconi, et réunit autour de la table un autre juge de cette même Cour, Paolo Maria Napolitano, ancien chef de cabinet de Gianfranco Fini durant le deuxième gouvernement Berlusconi et membre du Conseil d'Etat ; l'actuel ministre de la Justice, Angiolino Alfano ; le sous-secrétaire à la présidence du Conseil, Gianni Letta ; le président de la commission des Affaires constitutionnelles du Sénat, Carlo Vizzini, et enfin le président du Conseil des ministres en personne, Silvio Berlusconi.
Or il faut savoir qu'à partir du 6 octobre prochain la Cour constitutionnelle devra se prononcer sur la "Loi Alfano", qui doit son nom au bel Angiolino et assure l'impunité aux 4 plus hauts personnages de l'état italien.
Une décision lourde de conséquences pour Silvio Berlusconi, qui perdrait son immunité si elle était déclarée inconstitutionnelle, puisqu'en fait il s'agit d'une loi "ad personam", rédigée sur mesure par les avocats du patron, écrite expressément pour que Berlusconi puisse échapper, entre autres, à l'affaire Mills (où l'on a donc un corrompu sans corrupteur, pour l'instant), et sur laquelle Alfano s'est limité à apposer sa signature...
Quant à Carlo Vizzini, lui aussi membre du parti de Berlusconi, sa présence était justifiée par sa fonction à la présidence de la commission des Affaires constitutionnelles du Sénat ; il faisait également partie de la commission antimafia, dont il a dû démissionner le mois suivant après avoir été accusé par Massimo Ciancimino, fils de Don Vito, célèbre pour avoir mis Palerme à sac en compagnie de Riina et Provenzano, d'avoir favorisé la mafia !
Aucun conflit d'intérêt, donc, dans cette histoire, et un dîner tout à fait normal, puisque Luigi Mazzella répond aujourd'hui à ceux qui demandent sa démission de la Cour constitutionnelle qu'il était chez lui, et que chez lui il reçoit qui il veut, quand il veut, et qu'il n'a de comptes à rendre à personne...
Dont acte !
Ceci étant, quelques questions demeurent. Notamment lorsque l'on apprend que deux jours après le fameux dîner, une ébauche de réforme constitutionnelle était communiquée à Berlusconi, dans laquelle le titre IV de la Constitution italienne, qui réglemente la magistrature, est totalement remis à plat. Selon Peter Gomez il s'agirait de 9 articles qui font table rase du parquet, des magistrats du ministère public, en les remplaçant par des fonctionnaires recrutés parmi des avocats ou des professeurs universitaires. Ces juges, haïs depuis toujours par Berlusconi, dont l'emblème d'hier fut Antonio Di Pietro et l'emblème d'aujourd'hui Luigi De Magistris. Haïs à tel point que récemment Berlusconi déclarait que, selon son père, si quelqu'un naissait avec le désir de faire le mal, il devenait soit criminel, soit dentiste, soit magistrat du ministère public.
À quoi j'observais sur mon blog italien qu'on comprenait mieux pourquoi des trois le fils ne faisait ni le magistrat ni le dentiste...
Pour ce faire, donc, la "réforme" prévoit la création d'un nouveau Conseil supérieur de la magistrature (CSM) dont fera partie, de droit, non plus le procureur général, mais le premier président de la Cour de cassation. Alors là, une parenthèse s'impose !
Une parenthèse qui s'appelle Corrado Carnevale, dont je vous ai déjà parlé :
Or il faut bien comprendre que jusqu'alors en Italie, pratiquement jamais aucun boss mafieux n'avait été condamné à perpétuité, et tous étaient convaincus, à commencer par Riina, qu'ils s'en seraient sortis une fois de plus, notamment grâce au juge Corrado Carnevale, le "tueur de jugements" connu pour "ajuster" les condamnations d'appel, c'est-à-dire de pratiquement toutes les casser en faveur des mafieux, le plus souvent pour des détails de procédure. La Cassation lui a d'ailleurs revalu ses "bons et loyaux services", puisqu'après avoir été condamné en 2001 à 6 ans de prison en appel, la sentence a été cassée par ses confrères en 2002, en confirmant définitivement le jugement de première instance, qui abandonnait l'inculpation de corruption faute de preuves suffisantes...C'est ce que nous expliquait Marco Travaglio dans Carnevale à la Cassation, Falcone et Borsellino au cimetière, qui ajoute :
Falcone avait découvert la chose et avait donc institué une rotation des juges, en écartant ainsi Carnevale du maxi-procès. Lui qui avoua plus tard (contre son gré, surpris par des écoutes téléphoniques) qu'il n'avait jamais respecté ni Falcone ni Borsellino, pas plus morts que vivants (i morti li rispetto, ... ma certi morti no)...
En bon et loyal serviteur de l'état, le 21 juin 2007 il a donc fini par être réintégré - grâce à une loi écrite spécialement pour lui ! - à la première chambre civile de la Cassation, où il peut continuer sereinement son œuvre, comme a pu s'en rendre compte Beppe Grillo. Avec une perspective qui fait froid dans le dos : sur la base de l'ancienneté, Carnevale a toutes les chances de devenir un jour président de la Cassation, or vu ses antécédents, on peut facilement imaginer le résultat de futurs procès "excellents" destinés à arriver tôt ou tard devant la Cour : Dell'Utri, Cuffaro, etc.
Le fait qu'il soit le plus âgé le place en tête dans la course à la présidence de la Cassation.En 2010, c'est dans quelques mois...
Le président actuel, le juge Vincenzo Carbone, prendra sa retraite en 2010, alors que Carnevale ne quittera la Cassation qu'en 2013, à 83 ans.
Donc, dès le départ de Carbone, qui sera le seul candidat, le plus âgé, celui qui aura le plus de titres pour devenir le premier président de la Cassation, le plus important juge d'Italie, au sommet de la pyramide du pouvoir judiciaire au-dessus de laquelle il n'y a plus rien ?
Corrado Carnevale.
Voici donc une infime partie des saloperies que Berlusconi et sa cour trament dans l'ombre, pour finir de démanteler complètement la justice et réaliser à la lettre, et même plus, le "programme de renaissance démocratique" de la P2, dont le vice originel, absolu, consiste non pas à abolir la démocratie dans ses formes, mais à la vider totalement de sa substance pour n'en laisser qu'une belle coquille présentable.
C'est écrit en toutes lettres dès les premiers articles : l'adjectif "démocratique" signifie que sont exclus de ce plan tous les mobiles et toutes les intentions, y compris occultes, de renverser le système, en le "revitalisant" via la sollicitation de toutes les institutions que la Constitution prévoit et réglemente, des organes de l'État aux partis politiques, de la presse aux syndicats en passant par les électeurs, etc.
C'est ainsi que les initiatives en cours décidées dans les conciliabules et les dîners secrets (car pour un que l'on découvre, combien se déroulent-ils dont on ne saura jamais rien...) s'accompagnent d'autres projets de loi visant à imposer définitivement LA FIN DE LA DÉMOCRATIE EN ITALIE, notamment en muselant la justice, en baîllonnant la presse et en censurant Internet. Définitivement, je répète.
- L'aggettivo democratico sta a significare che sono esclusi dal presente piano ogni movente od intenzione anche occulta di rovesciamento del sistema.
- Il piano tende invece a rivitalizzare il sistema attraverso la sollecitazione di tutti gli istituti che la Costituzione prevede e disciplina, dagli organi dello Stato ai partiti politici, alla stampa, ai sindacati, ai cittadini elettori.
- Il piano si articola in una sommaria indicazione di obiettivi, nella elaborazione di procedimenti - anche alternativi - di attuazione ed infine nell'elencazione di programmi a breve, medio e lungo termine.
- Va anche rilevato, per chiarezza, che i programmi a medio e lungo termine prevedono alcuni ritocchi alla Costituzione successivi al restauro delle istituzioni fondamentali.
J'aurai l'occasion d'y revenir, car si je devais détailler les dispositions de l'actuel projet de loi sur la "justice", destiné à passer incessamment sous peu, il faudrait que je multiplie la longueur de ce billet par 2 ou par 3, or il donne déjà suffisamment à réfléchir. Tout au moins il devrait...
[MàJ - 29 juin 2009] Il semblerait - je n'ai pas encore pu recouper l'info - que l'actuel Président de la Cour constitutionnelle, Francesco Almirante, veuille repousser la date du 6 octobre pour l'examen de la constitutionnalité de la loi Alfano ; il n'aurait pas très bien pris la chose, après avoir appris hier la nouvelle du dîner par les journaux...
Partager sur Facebook
P.S. Et comme je l'ai déjà précisé : « Tout cela se passe aujourd'hui, en 2009, en Italie, au cœur de l'Europe. Qu'on se le dise !!! »
Actualités, Italie, Silvio Berlusconi, démocratie, information, mensonge, vérité, politique, société, langue, manipulation
FIN DÉFINITIVE DE LA DÉMOCRATIE EN ITALIE, mais selon la volonté du peuple.
RépondreSupprimerL'Italie c'est en effet la matérialisation d'un lieu mental partagé entre la tragédie et la farce.
Notre histoire c'est constamment du Pirandello. Vous, les Français, ne connaissez pas la constante infinie résignation au pire, sans aucune dignité.
Pas de pitié, donc! On la mérite pas.
Cometa,
RépondreSupprimerLe peuple manipulé comme ça c'est le bétail qu'on mène à l'abattoir et qui y va en chantant, en riant et en remerciant.
Quand je vois que près de 50% soutiennent encore berlusconi dans les sondages, je me demande comment est-ce possible qu'autant de connards puissent voter contre leurs propres intérêts.
Pour les français qui me liront, je signale que ces mots ne sont pas de moi mais que je les ai empruntés à berlusconi lui-même.
Donc pas de pitié pour les connards, qui ont le gouvernement qu'ils méritent.
Le problème, c'est que les connards étant majoritaires, les autres doivent supporter.
D'où mon devoir, impératif, de dénoncer.
Supporter, à la limite, être complice par son silence, non !
Jean-Marie