mercredi 1 octobre 2008

Les journalistes italiens selon leur lectorat

Les journalistes italiens selon leur lectorat



Pour 68% des italiens, ce sont des menteurs ! Contre "seulement" 60% en 1997.



Une pathologie dont le président du Conseil est immune, par définition !



Une opinion que ne semble pas partager son principal opposant, Walter Veltroni, ex-maire de Rome, qui a déclaré hier que Silvio Berlusconi ne savait dire que des conneries et lancer des injures, outre avoir une certaine propension aux mensonges...



Mais revenons-en aux journalistes, la digression m'emporterait trop loin. Voici les autres résultats :
  • 60% des sondés les jugent peu ou pas du tout informés (contre 48% en 97)
  • pour 52% des gens, ils ne sont pas indépendants
  • 48% les trouvent partiaux, et 40% corrompus
  • pour 55% des personnes, ils ne sont pas préparés à l'information (très mal préparés pour 32% et mal préparés pour 23%, contre 15% qui trouvent leur préparation excellente, 20% bonne et 10% suffisante)
L'étude AstraRicerche, réalisée par téléphone auprès d'un échantillon de 2 000 personnes, a également identifié les "douze commandements" des journalistes proportionnellement aux exigences de leur lectorat :

  1. la compétence thématique ou sectorielle, nécessaire pour 90% des sondés
  2. le professionnalisme et une juste utilisation de leur savoir-faire (79% des sondés)
  3. la clarté (77%)
  4. la capacité d'impliquer émotionnellement leur lectorat (73%)
  5. l'efficacité de la communication (65%)
  6. l'éthique (64%)
  7. la mesure, pour éviter de transmettre agressivité ou anxiété (62%)
  8. le respect des autres (53%)
  9. aider leur lectorat à mieux comprendre (50%)
  10. fournir une information utile (47%)
  11. savoir éduquer le lectorat pour qu'il améliore ses capacités au fil du temps et apprenne à approfondir les arguments qui l'intéresse (37%)
  12. enfin, savoir faire son métier permet à la limite d'être antipathiques, puisque seuls 36% des interviewés considèrent la sympathie une condition sine qua non pour être journalistes
Mais c'est bien la seule concession que font les italiens aux détenteurs d'une carte de presse !



Cette recherche a été commandée il y a 6 mois par l'Ordre des journalistes de Lombardie, afin de tracer un cadre d'ensemble de l'évolution du métier et de son avenir. Selon Enrico Finzi, responsable de l'étude :
Le jugement de la société sur les journalistes ne cesse d'empirer.
Et en France ?





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mercredi 10 septembre 2008

Google vs. Edvige

Google vs. Edvige



À l'origine de ce billet est un raccourci saisissant imaginé par un de mes collègues : Google = Edvige.



Selon ses propres mots : « je me disais que la bonne traduction de Gogole était sans doute Edwige »... (sic)



Donc, ici c'est Google-Edvige, là c'est Edvige-Facebook, dont l'auteur de l'article, avocat, nous fait justement remarquer que la création du "fichier" Edvige (sigle d'Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale) :
intervient dans un contexte marqué par un affaiblissement considérable de la vigilance des personnes quant à la protection de leurs données personnelles.
Et de poursuivre :
Peut-être supporte-t-on mieux le fichage privé car dans un cas, il y a consentement, et pas dans l’autre ?
Pour autant, en comparant Google ou Facebook avec Edvige, est-ce qu'on ne compare pas les torchons et les serviettes ? Car si l'on peut considérer qu'il y a fichage, dans un cas comme dans l'autre, parle-t-on d'un fichage de même nature ?



Non ! Il faut le dire clairement. Et avant de conclure que le fichage « privé » ferait moins peur car n'émanant d'aucun gouvernement, mieux vaut essayer de tirer l'écheveau pour dénouer ce sac d'embrouilles.



Signalons tout d'abord qu'Edvige n'est qu'un fichier parmi d'autres dans l'ample panoplie du fichage gouvernemental, qui compterait en tout, avec Edvige, 37 fichiers différents. Plus que des fichiers, d'ailleurs, il s'agit de véritables bases de données. Qui contiendraient, pour nous limiter à Edvige, à destination de toutes les personnes physiques âgées de treize ans et plus :
― informations ayant trait à l'état civil et à la profession ;

― adresses physiques, numéros de téléphone et adresses électroniques ;

― signes physiques particuliers et objectifs, photographies et comportement ;

― titres d'identité ;

― immatriculation des véhicules ;

― informations fiscales et patrimoniales ;

― déplacements et antécédents judiciaires ;

― motif de l'enregistrement des données ;

― données relatives à l'environnement de la personne, notamment à celles entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec elle.
Toutes les personnes physiques âgées de treize ans et plus relatives à l'article 1, s'entend, article 1 qui n'est pas mal non plus, puisqu'il autorise le ministre de l'intérieur à mettre en œuvre un traitement automatisé et des fichiers de données à caractère personnel ... ayant pour finalités... :
  1. De centraliser et d'analyser les informations relatives aux personnes physiques ou morales ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif, sous condition que ces informations soient nécessaires au Gouvernement ou à ses représentants pour l'exercice de leurs responsabilités ;
  2. De centraliser et d'analyser les informations relatives aux individus, groupes, organisations et personnes morales qui, en raison de leur activité individuelle ou collective, sont susceptibles de porter atteinte à l'ordre public ;
  3. De permettre aux services de police d'exécuter les enquêtes administratives qui leur sont confiées en vertu des lois et règlements, pour déterminer si le comportement des personnes physiques ou morales intéressées est compatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées.
Plus ici...



En clair, et notamment au lu du point 2. (susceptibles de porter atteinte à l'ordre public), ça veut dire que toute la population française, dans une circonstance ou une autre, pour une raison ou une autre, peut tôt ou tard être amenée à se retrouver dans le ventre d'Edvige...



Voilà pour la partie "publique" de la chose. Voyons maintenant ce qu'est le "fichage" côté privé, et en quoi Edvige est différent de Google ou Facebook. En commençant par Facebook, comme je l'ai détaillé dans un billet sur le ciblage publicitaire et comportemental selon Facebook :
Lieu / Sexe / Âge / Mots clés de son choix / Formation / Diplôme d'université / À l'université / Au lycée / Universités / Major / Année, etc. / Lieux de Travail / Relation / Célibataire / Fiancé(e) / Marié(e) / Intéressé(e) par hommes - femmes /
Ajoutons-y l'orientation politique aux US :





et précisons que le choix de renseigner ces champs est totalement facultatif, voire fantaisiste (vous y mettez ce que vous voulez), autant d'options qui ne se posent pas avec Edvige...



Donc, première question : cocher les cases ci-dessus ou saisir quelques mots à la volée peut-il constituer une atteinte à la vie privée ? Et en quoi ?



D'autre part, la collecte d'infos "personnelles" par les grands acteurs du Web n'est déclenchée que par certains événements, des « Data transmission events ».
Citons, à titre d'exemple, les données collectées :



- lors des recherches de l'internaute ;

- lors de ses achats ;

- lorsqu'il clique sur une pub ;

- lorsqu'il s'enregistre sur un service ;

- grâce aux cookies, etc.



Tout ça permettant à qui les possède en bout de chaîne d'obtenir des informations précises sur nos habitudes, nos intérêts, et ainsi de suite. Le graal des publicitaires et des marketers de tout poil, en quelque sorte !



On pourra toujours s'interroger pour savoir si ces données sont collectées à notre insu ou non, bien que je me demande franchement quel internaute naviguant régulièrement sur Internet ne serait pas encore au courant !?



Par ailleurs, menée aux États-Unis en décembre 2007 sur le trafic imputable aux quinze plus gros acteurs américains de l'Internet, je ne doute pas que les résultats de l’étude puissent être extrapolés au Web mondial, puisque de toute façon la tendance est irréversible, autant le savoir...
La collecte globale de toutes ces données n'ayant qu'un but, comme je le dis à propos de Google :
(analyser) mes habitudes de navigation, identifier mes goûts, me profiler par un ciblage comportemental le plus précis possible, et pouvoir ainsi me présenter les pubs qu'elle jugera les plus pertinentes, les plus susceptibles de me faire cliquer, réagir, acheter, etc.
Donc en comparant le "fichage privé" au "fichage public" à peine décrits, et même si l'on veut mettre les conditions d'utilisation de Facebook ou des services de Google sur la balance, la seule conclusion qui me vient est celle-ci : ils ne sont pas comparables. En aucun cas.



Par conséquent, celles et ceux qui pensent avoir tout dit en comparant Google, Facebook & Co avec Edvige et ses frères et sœurs dont disposent peu ou prou tous les gouvernements de la planète, feraient mieux de peaufiner leur analyse avant de dire n'importe quoi. Et il serait peut-être temps aussi d'en finir avec la paranoïa généralisée sur Google et autres, à moins que ça ne serve d'alibi pour ne pas voir les vrais problèmes que nous posent les états qui nous gouvernent en promulguant des législations toutes plus débiles les unes que les autres.



Car Edvige, à l'instar de tous ces prénoms qu'on donne aux cyclones tropicaux qui dévastent des populations entières, me fait plutôt penser à une catastrophe naturelle anthropique de très grande ampleur... Du genre HADOPI, rien que pour en citer une autre. Alors non à Edvige !



Mais franchement, rien à voir avec Google. En Italie, ma vie privée est en danger dès aujourd'hui (enfin, ça fait déjà plusieurs années...), et la menace vient d'un "gouvernement démocratiquement élu" et de son chef, Silvio Berlusconi. Qui s'en prend d'ailleurs aussi à Google.



C'est peut-être un hasard, mais un proverbe italien dit : "les ennemis de mes ennemis sont mes amis"...





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jeudi 31 juillet 2008

Mediaset vs. YouTube, Berlusconi vs. Google


L'info a fait le tour du Web à la vitesse Internet, communiqué de presse officiel ici, version française .
Voyons maintenant quelques approfondissements venant directement d'Italie, puisque c'est de là que ça part et que la plainte a été déposée devant le Tribunal civil de Rome (auprès duquel je suis "expert assermenté", soit dit en passant).
Et puisqu'on parle d'experts, l'expertise pour le compte de Mediaset a été effectuée par Matteo G.P. Flora, qui décrit ainsi le mandat qui lui a été confié :
- deux mois de travail
- un crawling qui a généré 185 Go de trafic
- les fameuses 4 643 preuves (les extraits vidéos appartenant à Médiaset)
- 9 DVD remplis de preuves à charge
- autres recherches et recoupages afférents
- un rapport d'expertise de 5 260 pages et pièces jointes (dont 243 pages d'analyses) (cf. la quinzaine de volumes du rapport ci-dessous)



Je serais curieux de lire la plainte, mais en furetant sur le Web italien à la recherche d'infos, je n'ai pas encore compris la corrélation entre les 325 heures de vidéos reprises sur YouTube et le calcul de la perte pour le groupe, "évaluée" à 315 672 jours (865 siècles !!!) de visionnage de la part des téléspectateurs.
Sans compter le manque à gagner des recettes publicitaires...
Ceci dit, le dossier est confié aux avocats Gaetano Morazzoni, Vincenzo Sangalli, Alessandro La Rosa et Stefano Previti, ces deux derniers du cabinet légal de Cesare Previti (dont Me Stefano est le fils), ami "intime" de Silvio Berlusconi (voir par exemple le scandale Mondadori), qui reprend du service pour Mediaset depuis un certain temps déjà, notamment contre Marco Travaglio, attaqué de tous les côtés...
D'ailleurs, pour en revenir à YouTube, si vous comprenez l'italien, je vous suggère vivement de regarder les vidéos de Travaglio, c'est édifiant...





Au moins, quand on lit Gomorra on sait à quoi s'attendre. Mais quand on lit les ouvrages de Travaglio sur les dessous (de table) de la politique italienne, on se dit vraiment qu'en Italie les politiques sont encore plus ripoux que la mafia... Voir sa présentation de Mani Sporche (par opposition à Mani Pulite, Mains sales vs. Mains propres...) :





Naturellement, en voyant que tout ce matériel est disponible et librement accessible en quantité sur YouTube (voir aussi le blog de Beppe Grillo), on comprend pourquoi Berlusconi en a après Google (il vient d'ailleurs de gagner dans une affaire proche opposant Telecinco à YouTube, et c'est sûrement pas sur Rivideo qu'on va retrouver les mêmes clips...). Et on comprend aussi pourquoi il attaque en faisant appel à Previti, après tout, ça reste une affaire de familles !



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jeudi 13 mars 2008

Adscriptor - Cinq choses importantes

Adscriptor - Cinq choses importantes



Guillaume Narvic me passe le flambeau pour narrer cinq choses sans importance à mon sujet, or en ce moment mon esprit est totalement accaparé par toute une série d'événements qui me prennent la tête, comme on dit si justement.



Ça fait comme une chape qui me comprime le crâne sans répit. Donc je me dis qu'après tout, en parler me libérera peut-être un peu le cerveau.



1. Il y a des moments où je n'ai plus envie d'écrire sur Adscriptor. Ce désintérêt est dû en partie à la rareté des commentaires sur ce blog. Presque 400 billets et aucun n'a jamais recueilli plus de 20 commentaires. D'où le sentiment diffus d'écrire le plus souvent pour les moteurs, qui sont incapables de dialoguer, ces cons ! De quoi éprouver aussi une certaine envie pour des blogueurs tels que Maître Eolas ou Laurent Gloaguen, dont les billets pulvérisent régulièrement le seuil des 100 commentaires (Beppe Grillo, lui, dépasse souvent les 1000...) ! Quant aux interrogations stériles de Mediapart, laissons-les à leur vacuité.

Et en partie au trop-plein de boulot qui fait que les priorités sont autres.



2. Il y a une autre raison, paradoxale, c'est que tout m'intéresse. Je m'informe sur tout, et j'ai envie d'écrire sur tout. Ou presque. Tous les sujets, tous les domaines. Notamment les noms de domaine. Donc au passage permettez-moi de saluer l'apparition d'un forum dédié, Domaineur.com. Résultat : j'ai plein d'idées de billets chaque jour, tout en sachant que pour un billet écrit, il y en a dix qui ne verront jamais le jour. Par manque de temps. Voilà pourquoi je me sens souvent découragé, et impuissant, face à l'ampleur de la tâche.

Seule la poésie pourrait me soulager, mais voici des années que la veine est épuisée.



3. Je m'inquiète chaque jour davantage d'une certaine mentalité procédurière à outrance dont font preuve certains de mes conpatriotes (orthographe délibérée), dont la fréquence augmente régulièrement et dont la légitimité des motivations m'échappent de plus en plus : économiques certes, destinées à faire peur, c'est évident, "légales", probablement, mais en aucun cas "justes". Tantôt c'est DatingWatch, tantôt lespipoles, une fois c'est la Web réputation, l'autre les entreprenautes, aujourd'hui c'est Presse-citron, et demain ?...

Faudrait peut-être revenir à la tradition avisée des sommations d'usage.



4. Il y autre chose qui m'inquiète encore plus, c'est la situation en Italie, où je suis intimement convaincu que, depuis Mussolini, en passant par la Démocratie chrétienne et Craxi (les initiés comprendront), personne n'a jamais fait autant de mal à ce pays que Silvio Berlusconi. Qui a toutes les chances d'être réélu une troisième fois Président du Conseil des Ministres dans environ un mois... Nous sommes donc à la veille d'en reprendre pour cinq ans, de force et non de gré, car comme le dit un représentant de sa propre majorité : Berlusconi est ce qu'il est, mais on n'a que lui ! Or de fait, en l'état actuel des choses, je ne vois aucune alternative possible ni crédible. Même si j'aimerais bien me tromper...

Ceci dit, je lui réserve un billet de mon cru, ad personam, en vue de sa réélection aussi triste que probable.



5. Enfin, cette année marque un tournant décisif dans ma vie professionnelle, avec de nombreux projets en cours qui me passionnent, du lancement imminent de Translation 2.0 Open Project avec Primoscrib à la création de marques avec Quensis...

Les priorités dont je vous parlais au point 1. :-)



En conclusion, que Narvic m'excuse si je m'écarte un peu du but original de la chaîne des choses sans importance, mais je ne me sens pas la fantaisie d'imposer le boulet de mes digressions à qui que ce soit. Et si quelqu'un tient absolument à reprendre une chaîne...





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P.S. @ Narvic, réflexion incidente : perso je crois qu'il me reste encore tout un tas de choses à transmettre... (notamment à mon fils ;-)



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jeudi 10 janvier 2008

Gomorra

Gomorra, c'est le nom italien de Gomorrhe, ville maudite de biblique mémoire. Gomorra, c'est aussi une assonance avec camorra, la mafia napolitaine. Gomorra, c'est le titre du livre de Roberto Saviano qui décrit le délire de puissance des clans exerçant une emprise de fer, quasi absolue, sur la Campanie. Le seul livre que j'aie jamais lu à ce jour qui commence par une malédiction en guise de dédicace : A S. Maledizione. La Campanie, c'est la région italienne du Centre-Sud qui regroupe 5 Provinces : Avellino, Benevento, Caserta, Naples et Salerno. Ma femme est campane, née à Cava de' Tirreni, située à 45 km au sud de Naples, à 7 km de Salerno et à 3 km de la Costiera, plus connue en France sous la dénomination de Cote Amalfitaine. Donc la Campanie est aussi ma terre d'élection, celle où je passe les fêtes, de Noël et du premier de l'An (j'en suis revenu il y a tout juste une semaine), de Pâques, une partie des vacances d'été, etc. Mon fils y a ses cousins, dont deux qui vivent à Pagani, un peu au nord de Cava en remontant vers Pompéi et Naples. Le jour où mon beau-frère a annoncé à mon beau-père qu'il allait vivre à Pagani, mon beau-père en a pleuré. Des larmes de peine et de douleur. Ça me rappelle un dicton mafieux, terrible : "chi non paga col sangue, paga con le lacrime", ceux qui ne paient pas de leur sang, paient de leurs larmes. Mon beau-père était policier. Il appelait Pagani le Far-West... Pace all'anima sua. Plus de 40 ans de bons et loyaux services. Un homme intègre, bon, qui m'a donné les deux plus belles poignées de main que j'ai jamais reçues d'un homme. Sa fille et moi nous sommes mariés à Cava le 18 juillet 1998, juste 2 mois après les terribles coulées de boue qui ont dévasté Sarno, à quelques km de Cava, nul n'avait jamais vu ça en Italie, des familles entières décimées, certains y ont perdu leurs parents par dizaines. Saviano en parle dans son livre, notamment des milliards de subventions qui ont coulé à flots après, vite engloutis par la camorra. Une terre qui me colle au corps et à l'âme, une terre qui est mienne autant que le fut la France durant les 25 premières années de mon existence. Dont la langue et la culture m'habitent profondément depuis 25 ans, puisque je ne parle plus français dans ma vie de tous les jours depuis septembre 1982, même mon fils ignore ma langue ! Une terre actuellement secouée par un séisme qui n'a rien de naturel, un séisme causé par l'homme. Par le Système camorriste et la politique affairiste et sans scrupule. Dont la puanteur et les exhalaisons méphitiques ont franchi les frontières de la Campanie pour se répandre partout en Europe, et même Outre-Atlantique. Un Système raconté de façon poignante par Saviano dans Gomorra, dont la dernière partie, intitulée Terra dei fuochi, décrit la catastrophe sanitaire induite par le "traitement" des déchets en Campanie. Une catastrophe telle que l'état d'urgence est dépassé depuis longtemps. L'emergenza rifiuti. Car c'est de déchets, dont il est question. D'un Himalaya de déchets :
Se i rifiuti illegali gestiti dai clan fossero accorpati diverrebbero una montagna di 14.600 metri con una base di tre ettari, sarebbe la più grande montagna esistente sulla terra.
Si les déchets illégalement traités par les clans étaient regroupés, ils formeraient une montagne ayant une base de 3 hectares et haute de 14km600, la plus haute montagne de toute la terre. Une montagne de déchets toxiques de toutes sortes et d'ordures ménagères.

Les ordures de Naples

Provenant d'un peu partout en Europe, grâce aux prix imbattables pratiqués par le Système :
Le coût du marché pour éliminer correctement les déchets toxiques impose des prix qui vont de 21 centimes à 62 centimes par kilo. Les clans fournissent le même service à 9 ou 10 centimes le kilo.
Cela se traduit pas des dégâts collatéraux monstrueux, inqualifiables…
Les parrains n'ont eu aucun scrupule à enfouir des déchets empoisonnés dans leurs propres villages, à laisser pourrir les terres qui jouxtent leurs propres villas ou domaines. La vie d'un parrain est courte et le règne d'un clan, menacé par les règlements de compte, les arrestations et la prison à perpétuité, ne peut durer bien longtemps. Saturer un territoire de déchets toxiques, entourer ses villages de collines d'ordures n'est un problème que si l'on envisage le pouvoir comme une responsabilité sociale à long terme. Le temps des affaires ne connaît, lui, que le profit à court terme et aucun frein. L'essentiel du trafic ne connaît qu'une seule direction : nord-sud. Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, dix-huit mille tonnes de déchets provenant de Brescia ont été enfouies entre Naples et Caserte et en quatre ans, un million de tonnes à Santa Maria Capua Vetere. Les déchets traités au nord, dans les usines de Milan, de Pavie et de Pise, sont tous expédiés en Campanie.
Dans son article, Saviano explique parfaitement la collusion tripartite entre camorra, politique et entreprises. J'ai contacté son agent pour traduire son texte, mais je suis arrivé trop tard, il va bientôt être publié sur un quotidien français. Je mettrai le lien dès que je le trouverai. Et je vous invite vivement à le lire si vous voulez mieux comprendre ce qui se passe sur cette terre martyrisée qui est la mienne. Il commence ainsi :
È un territorio che non esce dalla notte. E che non troverà soluzione.

C'est un territoire qui ne sort pas de la nuit. Un territoire qui ne trouvera pas de solution.
Le gouvernement italien vient de dépêcher un Commissaire extraordinaire pour gérer la situation. Ce n'est jamais que le neuvième en 14 ans...

Si vous voulez en savoir plus, prenez votre courage à deux mains, et lisez Gomorra. Un vrai coup de poing. Car comme l'avoue Jean-Christophe : « On ne sort pas de ce livre révolté, juste totalement écœuré… »


Couverture de l'édition italienne :


Ça commence comme ça :
Le conteneur oscillait tandis que la grue le transportait jusqu'au bateau. Comme s'il flottait dans l'air. Le sprider, le mécanisme qui les reliait, ne parvenait pas à dompter le mouvement. Soudain, les portes mal fermées s'ouvrirent et des dizaines de corps tombèrent. On aurait dit des mannequins. Mais lorsqu'ils heurtaient le sol, les têtes se brisaient bien comme des crânes. Car c'étaient des crânes. Des hommes et des femmes tombaient du conteneur. Quelques adolescents aussi. Morts. Congelés, recroquevillés sur eux-mêmes, les uns sur les autres. Alignés comme des harengs dans une boîte. Les Chinois qui ne meurent jamais, les éternels Chinois qui se transmettent leurs papiers d'identité : voilà où ils finissaient. Ces corps dont les imaginations les plus débridées prétendaient qu'ils étaient cuisinés dans les restaurants, enterrés dans les champs près des usines ou jetés dans le cratère du Vésuve. Ils étaient là et s'échappaient par dizaines du conteneur, leur nom inscrit sur un carton attaché autour du cou par une ficelle. Ils avaient tous mis de côté la somme nécessaire pour se faire enterrer chez eux, en Chine. On retenait une partie de leur salaire, en échange de laquelle, après leur mort, leur voyage de retour était payé. Une place dans un conteneur et un trou dans quelque lopin de terre chinois. Quand le grutier du port m'a raconté cette histoire, il a placé ses mains sur son visage en continuant à me regarder à travers ses doigts écartés, comme si ce masque lui donnait le courage de poursuivre. Il avait vu s'abattre des corps et n'avait même pas eu besoin de donner l'alarme ou d'avertir qui que ce soit. Il avait simplement déposé le conteneur au sol et des dizaines de personnes, sorties de nulle part, avaient remis tous les corps à l'intérieur avant de nettoyer le quai avec un jet d'eau. C'est ainsi que ça se passait. Il n'arrivait toujours pas à y croire, il espérait que c'était une hallucina­tion provoquée par un surcroît d'heures supplémentaires. Il a serré les doigts pour se couvrir complètement le visage et continué à parler en pleurnichant, mais je ne comprenais plus ce qu'il me disait. Tout ce qui a été fabriqué passe par le port de Naples. Il n'est nul produit manufacturé, tissu, morceau de plastique, jouet, marteau, chaussure, tournevis, boulon, jeu vidéo, veste, pantalon, perceuse ou montre qui ne transite par ce port. Le port de Naples, cette blessure. Grande ouverte. Le point final des interminables trajets que parcourent les marchandises. Les bateaux arrivent, s'engagent dans le golfe et s'approchent de la darse comme des petits attirés par les mamelles de leur mère, à ceci près qu'ils ne doivent pas téter mais se faire traire. Le port de Naples est un trou dans la mappemonde d'où sort tout ce qui est fabriqué en Chine ou en Extrême-Orient, comme se plaisent encore à l'écrire les journalistes. Extrême. Lointain. Presque inimaginable. Si l'on ferme les yeux, on voit des kimonos, la barbe de Marco Polo ou le coup de pied latéral de Bruce Lee. En réalité, cet Orient est relié au port de Naples comme aucun autre endroit au monde. Ici, l'Orient n'a rien d'extrême, le très proche Orient, devrait-on dire, le moindre Orient. Tout ce qui est produit en Chine est déversé ici comme un seau d'eau qu'on vide dans le sable et dont le contenu détériore, creuse et pénètre en profondeur. 70 % du volume des exportations de textile chinois transitent par le seul port de Naples, ce qui ne représente pourtant que vingt pour cent de leur valeur. C'est une bizarrerie difficile à comprendre, mais les marchandises ont leur magie, elles peuvent être à un endroit sans y être, arriver sans jamais vraiment arriver, coûter cher au client tout en étant de qualité médiocre, et valoir peu aux yeux de la douane tout en étant précieuses. Car le textile regroupe de nombreuses catégories de biens et il suffit d'un trait de stylo sur le bordereau d'accompagnement pour réduire les frais et la T.V.A. de façon drastique. Dans le silence de ce trou noir qu'est le port, la structure moléculaire des choses semble se décomposer puis se recomposer une fois loin de la côte. Les marchandises doivent quitter très vite le port. Tout se déroule rapidement, au point que les choses disparaissent presque aussitôt. Comme si rien ne s'était passé, comme si tout n'avait été qu'un geste. Un voyage inexistant, un faux accostage, un bateau fantôme, une cargaison évanescente. Comme s'il n'y avait rien eu. Une évaporation. La marchandise doit parvenir entre les mains de l'acheteur sans laisser de trace de son parcours. Elle doit rejoindre son entrepôt, vite, immédiatement, avant que le temps reprenne son cours, le temps nécessaire à un éventuel contrôle. Des quintaux de marchandises qui circulent aussi facilement qu'un pli livré à domicile par le facteur. Dans le port de Naples, avec ses un million trois cent trente-six mille mètres carrés et ses onze kilomètres et demi de longueur, le temps se dilate d'une façon inédite. Ce qui pourrait prendre une heure à l'extérieur semble y durer à peine plus d'une minute. La proverbiale lenteur qui caractérise dans l'imaginaire collectif chaque geste d'un Napolitain est ici démentie, niée, brisée. Les premiers contrôles douaniers surviennent dans un laps de temps que les marchandises chinoises prennent de vitesse. Impitoyablement rapides. Ici, chaque minute semble annihilée, c'est un massacre de minutes, de secondes volées aux formalités, poursuivies par les accélérations des camions, tirées par les grues, emportées par les chariots élévateurs qui vident les entrailles des conteneurs.
Un pavé en pleine gueule.




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P.S. Je pourrais vous en écrire des pages et des pages sur l'Italie, sur la Campanie, et même vous raconter bien plus de choses belles que dégueulasses. Mais ce qui se passe en ce moment et la façon dont l'Italie est perçue en dehors de ses frontières me touchent trop...

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