vendredi 18 septembre 2009

La démocratie italienne vaut moins qu'une valise vide

Je vais vous raconter une histoire terrible, l'histoire d'un coup d'état annoncé, qui pourrait encore se produire. En 2009, ou en 2010, en Italie, en plein cœur de l'Europe !



Mais un coup d'état d'un genre un peu particulier, puisque ce serait un COUP D'ÉTAT LÉGAL, une grande première dans l'histoire de l'humanité.



Laissez-moi donc vous expliquer pourquoi ce titre : La démocratie italienne vaut moins qu'une valise vide...



Formellement, l'Italie est une démocratie, c'est écrit à l'Article 1 de sa Constitution :
L'Italie est une République démocratique, fondée sur le travail. La souveraineté appartient au peuple, qui l'exerce dans les formes et dans les limites de la Constitution.
Même si jusqu'à présent, l'Italie n'a jamais été une véritable démocratie, mais c'est une autre histoire, un peu plus compliquée !



J'aimerais bien la raconter, mais ce serait plutôt long et complexe, quand bien même passionnant et sûrement très instructif, or il me manque un éditeur...



Par contre ce qui a sauvé l'Italie jusqu'à aujourd'hui, c'est sa Constitution. Un modèle du genre. Un modèle d'équilibre entre les pouvoirs et d'arbitrage entre la séparation des pouvoirs, ce qui a au moins permis d'éviter les débordements, jusqu'à aujourd'hui... Et même si l'Italie a trop souvent été au bord de basculer dans la dictature. Au début sous la supervision des américains, et puis petit à petit une infinité de pouvoirs occultes ont pris le dessus.



On cite souvent la P2, mais c'est juste la pointe de l'iceberg. En tout cas c'est de la P2 qu'est sorti ce vice originel, absolu, dont j'ai déjà parlé dans Berlusconi et l'assaut final à la justice, à savoir le "plan de renaissance démocratique" de la P2, qui consiste non pas à abolir la démocratie dans ses formes, mais à la vider totalement de sa substance pour n'en laisser qu'une belle coquille présentable.



C'est écrit en toutes lettres dès les premiers articles :
l'adjectif "démocratique" signifie que sont exclus de ce plan tous les mobiles et toutes les intentions, y compris occultes, de renverser le système, en le "revitalisant" via la sollicitation de toutes les institutions que la Constitution prévoit et réglemente, des organes de l'État aux partis politiques, de la presse aux syndicats en passant par les électeurs, etc.



1. L'aggettivo democratico sta a significare che sono esclusi dal presente piano ogni movente od intenzione anche occulta di rovesciamento del sistema.
En clair, on "revitalise" le système à la lumière du jour, et surtout, sans violence...



* * *


Durant la XVIe législature, sous le gouvernement Berlusconi III, le parlement sous contrôle berlusconien a modifié le code pénal, juste trois mois avant de tomber, avec la Loi du 24 février 2006, n° 85, publiée au Journal Officiel de la République Italienne n° 60 du 13 mars 2006, intitulée "Modifications au code pénal en matière de délits d'opinion" !



Cette loi amende donc plusieurs articles du code pénal italien, dont l'article 283 (le seul que j'analyse ici, pour les autres je vous renvoie à cette page, en italien), intitulé : "Attentat à la Constitution de l'État". Voyons donc ce que disent l'ancienne version (1), et la nouvelle (2) :
  1. Quiconque commet un acte visant à modifier la Constitution de l'État ou la forme du Gouvernement par des moyens non autorisés par le régime constitutionnel de l'État, est passible d'une peine d'emprisonnement non inférieure à douze ans.



    Chiunque commette un fatto diretto a mutare la costituzione dello Stato, o la forma del Governo, con mezzi non consentiti dall'ordinamento costituzionale dello Stato, è punito con la reclusione non inferiore a dodici anni.


  2. Quiconque, par la violence, commet un acte visant ou apte à modifier la Constitution de l'État ou la forme du Gouvernement est passible d'une peine d'emprisonnement non inférieure à cinq ans.



    Chiunque, con atti violenti, commette un fatto diretto e idoneo a mutare la Costituzione dello Stato o la forma di Governo, è punito con la reclusione non inferiore a cinque anni.
Cette modification est triplement vicieuse et dangereuse :
  • Introduire "par la violence" signifie que tous les actes susceptibles de modifier la Constitution de l'État ou la forme du Gouvernement sans recours à la violence sont désormais parfaitement légaux ;
  • Éliminer "par des moyens non autorisés par le régime constitutionnel de l'État" signifie étendre pratiquement à l'infini la catégorie d'actes, pourvu qu'ils soient "sans violence"...
  • Réduire de 12 à 5 ans la peine minimale signifie de facto, dans le système juridique italien actuel, garantir l'impunité totale à quiconque attentera à la Constitution dès lors que, par extraordinaire, il se ferait prendre...
Maintenant si quelqu'un vole une valise, même vide, dans un aéroport, il risque d'en prendre pour six ans !



Dans l'Italie d'aujourd'hui, la démocratie vaut moins qu'une valise vide...



Ce billet m'a été inspiré par cette intervention de Solange Manfredi :









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P.S. À noter que si la gauche au pouvoir de 2006 à 2008 n'a pas pris la peine de réamender l'amendement, là non plus ce n'est pas une erreur...



Quant aux rapports entre l'attentat à la Constitution et les délits d'opinion, si quelqu'un a une explication, je suis preneur !



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